lundi 27 mai 2013

Karsky devant Roosevelt



Jan Karsky

Jan Karsky arrive à New York. Il multiplie aussitôt les conférences, les entretiens. Il rencontre de nombreuses personnalités. On lui annonce que le président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt désire l'entendre personnellement. La rencontre a lieu à la Maison-Blanche, le 28 juillet 1943, elle dure un peu plus d'une heure.

On a laissé faire l'extermination des Juifs, Personne n'a essayé de l'arrêter. Personne n'a voulu essayer. Roosevelt lui-même s'étonnait devant moi, et son étonnement n'était que mensonge. Tous jouaient l'ignorance, parce que l'ignorance leur était profitable. Mais les services secrets avaient fait leur travail, on savait. Les Anglais étaient renseignés, les Américains étaient renseignés. C'est en connaissance de cause qu'ils n'ont pas cherché à arrêter l'extermination des Juifs. Si l'extermination a pu avoir lieu si facilement, c'est parce que les Alliés ont fait comme s'ils ne savaient pas. En sortant de mon entretien avec Roosevelt, j'avais compris que tout était perdu. Les Juifs d'Europe mouraient exterminés par les nazis, avec la complicité passive des Anglais et des Américains. J'ai compris qu'il ne serait plus jamais possible d'alerter la "conscience du monde", comme me l'avaient demandé les deux hommes du ghetto de Varsovie. Ainsi la destruction ne trouverait bientôt plus d'obstacles. Et lorsque l'insurrection de Varsovie a éclaté, un an plus tard, les Polonais ont cru jusqu'au dernier instant que les Anglais, les Américains et les Soviétiques viendraient pour les sauver. Depuis cette fin d'après-midi, je savais que Varsovie serait abandonnée. J'ai compris qu'il y avait quelque chose d'intransmissible dans ce message.


Franklin D. Roosevelt

Roosevelt venait de terminer son dîner, Il mâchouillait encore un peu, il s'est essuyé la bouche, il tenait à la main une fiche qu'il lisait distraitement. En me serrant la main très fort, il a dit: "Welcome mister Karsky". Il y avait beaucoup de gens qui assistaient à la scène. Debout près de la porte une belle femme vêtue d'un tailleur gris et d'un chemisier blanc prenait des notes.Tandis que j'expliquais à Roosevelt les conditions dans lesquelles la Pologne parvenait à résister aux nazis et aux staliniens, face à moi, Roosevelt semblait engourdi, aussi n'a-t-il pas beaucoup parlé dans cet entretien. De temps en temps, il se tournait vers la femme au chemisier blanc, il ne se gênait pas pour regarder ses jambes. Je parlais abondamment, Roosevelt ne disait rien. je crois qu'il digérait. Je me suis dit : Franklin D. Roosevelt est un homme qui digère - il est en train de digérer l'extermination des Juifs. Il s'st mis à ouvrir lentement la bouche : la réaction va être terrible - mais non, il n'a rien dit: sa bouche s'est un peu tordue, il écrasait un bâillement. Chaque fois qu'il ouvrait la bouche je me préparais à entendre une parole, mais non, encore un bâillement. Et puis au bout d'un moment, Roosevelt a pris la parole, il a dit :"I understand". Il a répété ces mots plusieurs fois. Il m'a semblé que chez Roosevelt la parole était si près du bâillement que parler, c'était comme bâiller. Ce qu'il réprimait en bâillant c'était la parole elle-même, il ne voulait pas comprendre. Plus il disait: "Je comprends" plus il exprimait la volonté inverse. je sentais malgré tout une curiosité maussade qu'on a pour l'étranger qu'on méprise. 

Je ne savais rien des accords secrets de Téhéran, la guerre n'était pas finie, et déjà les Anglais et les Américains avaient vendu la Pologne à Staline. À Varsovie, mes amis résistaient pour rien. Face à Roosevelt, dans son bureau de la Maison-Blanche, je me posais la même question que dans le bureau de la Gestapo, lorsque je subissais la torture des SS: comment sortir d'ici. J'avais affronté la violence nazie, j'avais subi la violence des Soviétiques et voilà que je faisais connaissance avec l'insidieuse violence américaine. Comment s'évade-t-on d'un canapé? À la violence du totalitarisme allait se substituer cette violence-là, diffuse, civilisée et qu'en toutes circonstances la démocratie allait maquiller. Le consensus anglo-américain masquait un intérêt commun contre les Juifs. Ni les Anglais ni les Américains ne voulaient venir en aide aux Juifs d'Europe, parce qu'ils craignaient d'être obligés de les accueillir.

Chaque fois qu'un collaborateur de Roosevelt ou de Churchill se demandait quoi faire des Juifs, il se posait la même question qu'Hitler. Heureusement pour les Anglais, heureusement pour les Américains, Hitler n'a pas expulsé les Juifs d'Europe, il les a exterminés.



Toutes les guerres me répugnent. La dernière plus que toute autre.


Je lis Jan Karsky écrit par Yannick Haenel.

Jan Karsky, le "Juste"



Jan Karsky


Jan Karsky est Polonais et en 1942, la Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Il s'engage dans la Résistance. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto afin qu'il dise aux Alliés ce qu'il a vu, et qu'il les prévienne que les Juifs d'Europe sont en train de se faire exterminer. Le traumatisme est puissant et indélébile. Jan Karsky traverse l'Europe en guerre, alerte les Anglais, il rencontre le président Roosevelt en Amérique... en vain.

«Combien de fois ai-je dit qu'en Europe les Allemands exterminaient les Juifs? En 1942, c'était une parole brûlante. En 1943, une parole désespérée, en 1944, c'était juste une parole ridicule. En 1945, la guerre était finie. Ce que j'avais essayé de faire entendre s'étalait à présent dans les journaux. On comptait les cadavres. J'étais plein de rage. Bien sûr les nazis étaient défaits, Hitler s'était suicidé, mais la barbarie n'était pas vaincue;  Staline recyclait les camps et y emprisonnait des opposants politiques, et parmi eux des milliers de Polonais.

Ce jour-là, j'ai vu pour la première fois Le Cavalier polonais de Rembrandt. J'ai tout de suite aimé ce tableau. À tous les instants décisifs de ma vie, je suis retourné voir Le cavalier polonais. À chaque fois, il m'a fait du bien. Ce jour de mai 1945, le monde se célébrait lui-même alors que la Pologne devenait le nom propre de l'anéantissement, parce que c'est en Pologne qu'a eu lieu l'extermination des Juifs d'Europe. En choisissant ce territoire pour accomplir l'extermination, les nazis ont aussi exterminé la Pologne. L'horreur de l'extermination rejaillit sur elle. Et même si les Polonais ont été victimes des nazis, et victimes des staliniens, le monde verra toujours  dans la Pologne le lieu du crime. C'est pourquoi, face au Cavalier polonais, j'ai pris la décision de rester en Amérique. 



Le Cavalier polonais de Rembrandt

Il y a eu Hiroshima et Nagasaki, la continuation de la barbarie; il y a eu le Procès de Nuremberg, c'est à dire le maquillage de la responsabilité des Alliés; ils avaient besoin de ce procès pour se blanchir. Bien sûr que les nazis sont les coupables, c'est eux qui ont déporté des milliers de Juifs, qui les ont affamés, battus, violés, torturés, gazés, brûlés. Mais  la culpabilité  des  nazis n'innocente pas l'Amérique. La même année, à quelques mois d'intervalle, il y a eu d'une part le bombardement d'Hiroshima, et d'autre part le procès de Nuremberg, sans que personne ne voit la moindre contradiction. 1945, l'année où l'on a falsifié le plus grand crime jamais commis, où l'on a osé mentir sur les responsabilités. Prétendre que l'extermination des Juifs est un crime contre l'humanité, c'est épargner une partie de l'humanité, c'est la laisser naïvement en dehors de ce crime. Or l'humanité tout entière est en cause dans l'extermination des Juifs d'Europe. L'extermination est un crime par l'humanité. 

Je ne parvenais pas à oublier, j'ai commencé à vivre dans le silence.

Est-ce que Dieu est mort à Auschwitz? Il n'a jamais existé de pire abandon que celui des Juifs d'Europe. Non seulement les Juifs ont été abandonnés par les hommes, mais ils ont été abandonnés par Dieu. Ils ont été abandonnés par l'abandon lui-même. Si je suis resté tant d'années silencieux, ce n'est pas seulement que ma parole avait échoué à transmettre le message, ni même parce qu'il n'avait pas réussi à stopper l'extermination, c'est que je faisais mon deuil. Il m'arrivait souvent de penser à une phrase mystérieuse de Kafka: "Loin, loin de toi, se déroule l'histoire mondiale, l'histoire mondiale de ton âme."

Pour désigner l'extermination, le cinéaste Claude Lanzmann utilise le mot -Shoah- qui signifie l'anéantissement. Il le trouvait plus juste que celui d' "holocauste" que les Américains continuent d'employer. Je lui donnai raison: le mot "holocauste" véhicule une idée de sacrifice, comme si les Juifs avaient été punis. Mais les Juifs n'ont pas été punis, ils ont été sacrifiés, ils ont été exterminés. Le film "Shoah" de Claude Lanzmann raconte cet enfer. J'ai accepté de témoigner. Reprendre la parole serait une manière de rendre hommage aux Juifs d'Europe».

Je lis Jan Karsky écrit par un écrivain exceptionnel que je découvre et que j'aime, Yannick Haenel. Je suis en train de lire Le sens du calme du même auteur, un livre merveilleux.

vendredi 24 mai 2013

Rosalie, porteuse de mille promesses...


Notre Rosalie

Rosalie a été honorée. Dans son école, elle fait partie des 25 meilleures élèves se positionnant dans  un créneau d' Excellence pour chaque niveau de son secondaire. Elle a reçu une médaille d'appréciation. Elle suscite notre admiration. On ne peut pas l'aimer davantage mais on peut l'admirer plus encore!

Cette nomination, c'est un petit morceau de velours rose pour mon coeur! Rosalie, je sais que tout de suite, ton coeur de poète s'aligne sur le mien ... et me saisit. Je t'aime Rosalie!



Jacqueline Dubé a écrit: "Belle famille! Une richesse que cette grande!"    OUI!




jeudi 23 mai 2013

Des couples enterrés main dans la main


4-29-2013.
On vient de découvrir en Transylvanie, des squelettes d'un couple se tenant la main dans la même tombe. C'est en fouillant la cour d'un ancien monastère dominicain que des archéologues ont mis au jour ces deux squelettes. On pense que la double tombe remonte au Moyen Âge, autour de 1450. Nous pouvons voir que l'homme avait subi une grave blessure à la hanche qui est probablement à l'origine de sa mort. La jeune femme manifestement morte en même temps semblait être  en bonne santé. Nous supposons qu'elle est morte le coeur brisé par la perte de son partenaire. Il est peu probable qu'elle se soit suicidée, vu que cela était considéré comme un péché. Si tel était le cas, elle n'aurait pas été enterrée dans un lieu saint. Il est évident qu'ils ont été enterrés ensemble en hommage à l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre. (d'après M. Résu)

Une semblable découverte a été faite en 2011





10-29-2011
D'après les archéologues italiens, l'homme et la femme ont été enterrés ensemble entre le Ve et VIe siècle de notre ère.  Dans l'antiquité, il n'était pas rare d'apprendre que des époux ou membres d'une même famille meurent en même temps. Chaque fois qu'une épidémie, telle la peste noire, ravageait l'Europe, souvent, un membre de la famille mourait en même temps que la famille essayait d'enterrer un autre membre. (K. Killgrove)

Le couple évoque une tendresse édifiante. La femme est positionnée de telle sorte qu'elle est morte  le visage tourné vers l'homme aimé. Des émules de Roméo et Juliette.

mardi 21 mai 2013

Picasso vu par Gérard Garouste



Gérard Garouste

Nous sommes les héritiers de Rembandt, Vélasquez, Cézanne, Matisse. Un peintre a toujours un père et une mère, il ne sort pas du néant, disait Picasso.

Moi, je sortais du néant. Ma famille rongeait les os d'obscurs tabous. L'école ne m'avait ouvert aucun chemin. Rien ne m'avait été transmis. Quant à Picasso, qui bientôt allait mourir, il avait dévoré l'héritage, il était de ces génies qui tuent le père et le fils. Il avait jusqu'au bout et magistralement cassé le jouet. Il avait cannibalisé, brisé la peinture, ses modèles, ses paysages, et construit une oeuvre unique. Si je regarde La femme qui pleure, je sais que la tristesse n'est pas le sujet mais l'alibi. Le sujet c'est ce que Picasso, l'iconoclaste, peut faire des larmes d'une femme. Le sujet c'est l'artiste lui-même. C'est toujours comme ça que la peinture a fait scandale. Picasso est allé jusqu'au bout de cette aventure-là, au bout du style. Il a rendu classique tout ce qui viendrait après lui. Il est la peinture et son aboutissement.



La femme qui pleure de  Picasso

Que faire après lui? Et après Marcel Duchamp qui venait de mourir? On était en 68, et nul n'a voulu voir que la révolution de l'art était terminée. Duchamp en était le point final. Il avait renoncé à la peinture, décrété l'objet comme oeuvre et l'artiste, celui qui regarde. J'avais lu Duchamp comme on prend une douche froide, la peinture était passéiste, il fallait l'abandonner...

J'aime les mains du Greco, de Vélasquez, quatre touches d'une grande justesse, au millimètre près. Moi, si je peins parfois de très grandes mains, pleines de doigts, c'est un hommage que je leur rends. Tant qu'il y aura des mains, il y aura des dessins d'enfants et des tableaux... 

Plus on tourne, plus on creuse vers ce qui est enfoui en soi. Moi, c'est un enfant. Blotti, bloqué. Heureux de dessiner et de peindre jusqu'à épuisement. Mais parfois, il souffre tant qu'il me rend fou. Élisabeth était enceinte. Un matin, je me suis enfui...  (suite)



Paris

lundi 20 mai 2013

Gérard Garouste, peintre



Le masque de chien, autoportrait (détail)

Je découvre ce peintre par l'intermédiaire de son livre L'Intranquille. En sous-titre: autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou. Il s'agit de Gérard Garouste. Le personnage est absolument fascinant. Son oeuvre l'est tout autant. Il peint des portraits et les membres de ses personnages sont déformés, démembrés, amputés, métamorphosés. Aujourd'hui, exposé dans les plus grands musées du monde, il trace sa voie malgré son internement à l'hôpital suivi par un long tunnel de dépression de dix années. Il fut finalement diagnostiqué bipolaire. Sa femme Élisabeth est demeurée près de lui, elle ne l'a jamais quitté.


Le vol du fou


L'ânesse et la figue


La barque du charron


Le mot et la chose

Michel Onfray a fait une analyse de certaines des oeuvres de Garouste, il écrit: "Il faut lever le voile sur ce secret, le père de l'artiste appartient à la catégorie des salauds. Farouchement antisémite par conviction, il avait construit sa fortune par spoliation des biens des Juifs pendant l'occupation. La figure de ce père violent, cynique le ronge, le mange, le détruit jusqu'à la folie".

Gérard Garouste: "Elisabeth ignorait maintenant tous ceux qui autour de nous lui conseillaient de me quitter. Elle tenait. Une seule fois, un matin, elle m'a dit sans forcer la voix: "Écoute, j'ai tout donné, je n'en peux plus. Si tu ne changes pas très rapidement, je vais te quitter". Si elle lâchait, je lâchais aussi. La peur l'a emporté sur la dépression. Je suis resté debout devant mon chevalet. J'ai peint un homme marchant avec une besace et une canne sur un paysage qui semble calciné. C'est le tableau préféré d'Elisabeth. 

Le délire est un trou noir dont on sort avec un état d'extrême sensibilité bénéfique pour la peinture. La création demande de la force. L'idéal du peintre n'est pas Van Gogh. S'il n'avait pas mis fin à ses jours, il aurait fait des tableaux plus extraordinaires encore. L'idéal c'est Vélasquez, Picasso qui ont construit une oeuvre et une vie en même temps". 

dimanche 19 mai 2013

Maria Angata, une sorcière rapanui




Maria Angata

L'archéologue Katherine Routledge, de mars 1914 à août 1915, recueille des témoignages des rares anciens. Elle rapportera au British Museum et dans sa famille une somme considérable d'archives qui ne seront exploitées qu'à la fin du siècle par une autre archéologue Jo Anne Van Tilburg qui appuiera les Rapanui. Les Rapanui se révoltent  et rédigent  une requête écrite. Ils souhaitent retrouver leur liberté, leurs terres et leur bétail. La lettre restera sans réponse.

"Dieu ne laissera pas abattre les Maoris!" ainsi s'adresse une Maria Angata âgée et infirme à la communauté rapanui. Prophétesse, sorcière ou héroïne de la cause rapanui, c'est selon. Après leur avoir enseigné le catéchisme, elle incite les Rapanui à transgresser  les interdits imposés. Elle conduit les hommes et les femmes de son peuple, nus et affamés, devant le maître de la compagnie, réclamer de la nourriture, leurs terres et la liberté. Puis, elle les rassemble, allume un feu de camp et elle leur parle. Les hommes l'écoutaient: la fumée de l'incendie montait droit vers le ciel. Non seulement ils allaient sacrifier des moutons à Dieu, mais encore, les manger!

En réponse à cet acte de rébellion, le 4 août 1914, la Marine chilienne, intervient à bord du Baquedanno. Très vite, les meneurs de la rébellion sont arrêtés et leur case brûlée. La vieille Maria Angata est battue et  obligée de s'agenouiller longuement sur un rocher en punition. Seul Daniel Antonio Chaves, fidèle bras droit de Maria Angata, qui avait osé contester le don des terres et des animaux et signer de son nom la missive du 30 juin 1914, est embarqué sur le Baquedanno. Destination: les geôles chiliennes, où il disparaîtra corps et bien.

Maria Angara n'était pas seulement le leader de cette révolution, elle était aussi une prêtresse enseignante, et une sorcière réputée pour ses prémonitions étonnantes.

Encore très jeune, Maria fut envoyée sur l'île Mangareva, une île polynésienne, pour recevoir un enseignement de catéchiste de l'Église catholique et pour y épouser son premier mari. Un homme violent qui l'a tellement battue qu'elle en est restée presque paralysée et définitivement  infirme. Une femme exceptionnelle qui fait désormais partie de mes pensées et de ma famille cosmique faite de gens que j'aime, à travers temps et espace. Cette femme m'émeut!