Oscar Wilde, auteur du Portrait de Dorian Gray
Dès qu’Oscar Wilde ne brillait plus tout seul, il s'effaçait. On ne le
retrouvait alors qu'en se retrouvant seul avec lui. Mais sitôt seuls, il
commençait: - "Qu'avez-vous fait depuis hier?" Et comme ma vie
s'écoulait sans heurts, le récit que je pouvais en faire ne présentait nul
intérêt. Je redisais docilement de menus faits, observant, tandis que je
parlais, le front de Wilde se rembrunir. - C'est vraiment là ce que vous avez
fait? - Oui. - Et ce que vous dites est vrai! - Oui, bien vrai. - Alors pourquoi
le redire? Vous voyez bien, cela n'est pas du tout intéressant. - Il y a deux
mondes, celui qui est, sans qu'on en parle, on l'appelle le monde réel parce
qu'il n'est nul besoin d'en parler pour le voir. Et l'autre, c'est le monde de l'art; c'est
celui dont il faut parler, parce qu'il n'existerait pas sans cela. - Et il
raconta...
"Un matin il quitta, comme tous les matins, son village - mais quand il arriva sur le bord de la mer, voici qu'il aperçut trois sirènes. Trois sirènes au bord des vagues qui peignaient avec un peigne d'or leurs cheveux verts. Et comme il continuait sa promenade, il vit, arrivant près du bois, un faune qui jouait de la flûte à une ronde de sylvains... Ce soir-là, quand il rentra dans son village et qu'on lui demanda comme les autres soirs: Allons! raconte: qu'as-tu vu? Il répondit: - Je n'ai rien vu."
Wilde s'arrêta un peu, laissant descendre en moi l'effet du conte.
André Gide
André Gide
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