Dans l'église de San Pietro in Vincoli, la statue de Moïse continue de lancer sur le monde ce regard de colère qui impressionnait tant Freud, lequel essayait à chaque visite de "tenir bon face au regard courroucé et méprisant du héros". Et il se repliait finalement dans la pénombre pour échapper à son jugement.
Si Freud redoutait tellement le regard de Moïse c'était parce que Michel-Ange a sculpté dans le marbre l'instant où il découvre la vulgarité de son peuple (l'adoration du veau d'or). Son regard semble bondir, il se jette - écrit Freud - sur la populace.
Dans le film de Michelangelo Antonioni, "Regard de Michel-Ange", on voit celui-ci, vers la fin de sa vie, aller regarder la statue de Moise. Antonioni monte les marches de l'église pour dévisager la statue "pour tenir bon" face à Moïse, comme disait Freud. On sait qu' Antonioni, suite à un accident cérébral, avait perdu la parole. On sait aussi que Moïse parlait peu, sa bouche était "lourde" dit la Bible. Ce que donne à voir ce petit film est un transfert de silence.
Le face à face avec les oeuvres est l'histoire même du temps. Quand Freud pense à Moïse, il pense contre la Loi. Quand Antonioni pense à Moïse, il pense sans doute contre l'Italie, contre la dévastation politique et culturelle de l'Italie.
Au fond, les Italiens font une expérience qui n'est pas seulement italienne mais mondiale. Le monde occidental a fait successivement l'expérience de trois morts: celle de Dieu, de la poésie et du politique.
Je lis: Je cherche l'Italie de Yannick Haenel
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