mardi 17 février 2015

Là où le sang a été versé, on en versera encore...



Je lis  Va où ton cœur te porte de Suzanna Tamaro

"Il y a quelques années alors que je me rendais à Venise, j'ai voyagé dans le même compartiment qu'une  médium. "Vous savez, disait-elle, pendant que nous traversions le haut plateau du Corso, si je marche dessus, j'entends toutes les voix des morts, je ne peux pas faire un pas sans en être assourdie. Ils hurlent tous d'une manière terrible, plus ils sont jeunes, plus ils hurlent fort".

Elle expliqua que, là où s'étaient produits des actes de violence, quelque chose dans l'atmosphère était définitivement altéré; l'air est corrodé, moins compact, et cette corrosion, au lieu de libérer un sentiment de douceur, favorise le déchaînement de nouveaux excès. Là où le sang a été versé, on en versera encore. "La terre est comme un vampire, dès qu'elle goûte le sang, elle en veut du neuf, du frais, et toujours plus".



Un souvenir lointain m'est revenu en mémoire. Quand pour la première fois, j'ai visité la Citadelle du Vieux Québec, j'étais une jeune femme. Fatiguée et impressionnée, je me suis allongée sur un long banc bâti à même le mur et j'ai subitement eu la sensation d'être en plein cœur de l'énergie d'un soldat mort à cet endroit. Une clameur de gémissements et de souffrances surgissait des vieilles pierres créant en moi une détresse profonde. J'ai quitté cet endroit en larmes.

Je ne savais pas à ce moment que j'étais moi aussi une sorcière. Beaucoup plus tard, j'ai fait un travail de libération et ces âmes prisonnières de par la mort brutale de leur corps se sont élancées comme une volée d'outardes. Et j'ai ressenti profondément leur gratitude.

dimanche 8 février 2015

Les derniers jours de Charlemagne



Le sacre de Charlemagne

Je lis Les derniers jours des rois de Patrice Gueniffey

Il est certain qu'en France le roi fut très tôt sensé bénéficier d'accointances particulières avec Dieu. En ces siècles reculés, grâce à la durée, le pouvoir acquiert le caractère de ce qui n'a pas été créé, dont l'origine remonte au-delà de la mémoire des hommes, et dont il semble alors devoir durer toujours. Ainsi de la monarchie française qui dura mille ans.



Charlemagne, la naissance d'une légende, Georges Minois

La mort de Charlemagne est un événement capital dans l'histoire de européenne qui s'est produit il y a mille deux cents ans. Charlemagne régnait depuis presque un demi siècle sur plus de la moitié du continent. Son ministre qui  assista à sa mort rédigea un ouvrage peu après le décès de l'empereur entre  817-829, ce qui explique que nous en sachions tant sur ce lointain et mythique roi des Francs.

Charlemagne, un colosse de plus d'un mètre 90, a eu une santé de fer jusqu'à l'âge de 68 ans. Grand sportif et un demi siècle de guerre, de chasse et de natation ont fait de lui un athlète qui de surcroît était modéré dans le boire et le manger. Il détestait l'ivresse. Il vit deux de ses fils mourir... le septuagénaire devint las et triste: "Il ne veut plus cette vie ni cette couronne à porter". Goutteux, il avait peine à marcher et à chasser. C'est après avoir pris un bain dans une piscine chaude que Charlemagne prit froid en  sortant  en plein  mois de janvier. Il mourut le 28 janvier 814 d'une pleurésie à 72 ans,  après 47 ans de règne.



Carolus Magnus veut dire Charlemagne en latin. D'où le mot carolingien pour désigner la dynastie des carolingiens, descendants de Charlemagne

Charlemagne est enterré le jour même du décès dans la chapelle du palais d'Aix, sans cérémonie, sans doute parce qu'on craignait que les moines de Saint-Denis, qui avaient déjà les corps de plusieurs rois mérovingiens et ceux des aïeux de Charlemagne - Charles Martel, Pépin le Bref - ne viennent s'emparer de la dépouille pour enrichir leur collection. La sépulture est tellement anonyme que lorsque Otton III veut faire ouvrir le tombeau, on est incapable de trouver l'emplacement et on doit fouiller tout le sol de la chapelle.

Une des trois personnes qui accompagnaient l'empereur germanique dans le tombeau raconte l'événement. "Nous entrâmes dans le tombeau, et parûmes devant Charles. Car il ne reposait pas couché, comme les autres cadavres, mais il était assis, comme vivant, sur une sorte de trône. Il portait une couronne d'or, tenait un sceptre dans ses mains couvertes de gants que les ongles en poussant avaient troués. L'empereur Otton le recouvrit de vêtements blancs, lui coupa les ongles et répara tout ce qui était en désordre autour de lui. Il lui manquait un peu de l'extrémité de son nez, il le fit réparer aussitôt avec un morceau d'or et arracha de sa bouche une dent, puis remit le baldaquin en état et s'en alla". Nous sommes déjà dans le mythe. Que Charlemagne ait été enterré assis est hautement improbable, on sait que l'inhumation avait été faite à la hâte.  Après qu'on  eut détaché des morceaux du corps royal, envoyés comme reliques à différentes églises et à plusieurs souverains, il sera placé dans un sarcophage... dont on a à nouveau perdu la trace: c'était en 1165. L'empereur Frédérique Barberousse retrouvera la trace du tombeau. Ce qui restera du corps  sera en 1215, placé par Frédérique II, dans un luxueux cercueil.


Dans le contexte de lutte contre les musulmans, se répand la prophétie de "L'empereur des derniers jours". Charlemagne devint le héros de l'esprit des croisades. On racontait que le roi était simplement endormi dans son tombeau d'Aix, d'où il va surgir  pour prendre la tête des armées chrétiennes contre les infidèles.

 À partir d'un certain niveau de célébrité, un souverain ne peut pas mourir.




mercredi 4 février 2015

Ingrid Bétancourt, Mark Rothko et moi...



Je lis La ligne bleue d'Ingrid Bétancourt. Et dès le début, à la dixième page, un paragraphe  étale mon coeur  dans les lignes et l'âme de ce texte.


Julia contemple l'azur au-dessus de son érable. Le bonheur est bleu. Horizon bleu, eau bleue. Une toile de Mark Rothko! se dit-elle en formant un cadre avec ses doigts. Elle aimerait suspendre ce tableau devant elle pour se souvenir que le bonheur est là, à portée de main. Curieuse cette idée d'un bonheur bleu.

Soudain, le vent se met à siffler. Le ciel vient de virer au sombre. Julia tressaille. Un éclair tranche son tableau de haut en bas. Julia est aveuglée. Elle a mal comme si un rasoir lui avait cisailler la rétine.



C'est un geste que je connais bien: réduire dans un cadre fictif une petite partie du monde infini et le mettre à mon aune personnelle. Délicieuse émotion que ces  photographies virtuelles pour l'album photos de mes éblouissements poétiques.

De surcroît, j'aime tellement Mark Rothko. Ses toiles font vibrer des arcanes secrètes en moi. Et sa mort violente me fait encore pleurer.

Voilà donc un début de livre qui me plaît...