Je continue de lire le beau livre de Romain Gary " Les racines du ciel". C'est Morel qui parle: " J'ai contracté, en captivité, une dette envers les éléphants. Au cachot, un camarade avait eu cette idée alors qu'il sentait que les murs allaient l'étouffer. Il s'était mis à penser aux troupeaux d'éléphants en liberté et chaque matin, les Allemands le trouvaient en pleine forme, en train de rigoler: il était devenu increvable. Quand il est sorti de cellule, il nous a passé le filon et chaque fois qu'on n'en pouvait plus, dans notre cage, on se mettait à penser à ces géants fonçant irrésistiblement à travers les grands espaces ouverts de l'Afrique. Cela demandait un formidable effort d'imagination, mais c'était un effort qui nous maintenait vivants. Laissés seuls, à moitié crevés, on serrait les dents, on souriait et, les yeux fermés, on continuait à regarder nos éléphants qui balayaient tout sur leur passage, que rien ne pouvait retenir ou arrêter; on entendait presque la terre trembler sous les pas de cette liberté prodigieuse et le vent du large venait emplir nos poumons. Les autorités du camp avaient fini par s'inquiéter, le moral de notre block était particulièrement élevé, et on mourait moins. Ils nous ont serré la vis.
Mon voisin de lit, un Parisien, je le voyais, n'était plus capable de bouger. De temps en temps nos regards se croisaient: j'apercevais au fond de ses yeux une lueur de gaieté à peine perceptible et je savais que les éléphants étaient toujours là, qu'il les voyait à l'horizon. Un jour, un mouchard a vendu la mèche et l'idée qu'il y avait encore en nous quelque chose qu'ils ne pouvaient pas atteindre les mettait hors d'eux. Et ils se sont mis à fignoler leurs égards. Le Parisien ne s'en est pas remis. Un soir, j'ai du l'aider à atteindre son block, il m'a dit que c'était fini. On a fait tout ce qu'on a pu pour l'aider, nous l'entourions avec frénésie, brandissant un doigt vers un horizon imaginaire. Pourtant il a fait un effort, il a tourné vers moi sa sale gueule: "Il m'en reste encore un, murmura-t-il. Je l'ai bien planqué, bien au fond, mais j'pourrai plus m'en occuper. Il faisait un effort terrible pour parler. Prends-le avec les tiens... il s'appelle Rodolphe". Je tenais sa main dans la mienne et j'ai tout de suite su que Rodolphe, il était avec moi pour toujours. Depuis, je le trimbale partout avec moi."
Cette histoire m'enchante, elle parle avec simplicité de la puissance de la visualisation sur le corps et l'esprit. Je garde cette histoire en tête et je sais bien qu'un jour, je la raconterai d'une façon thérapeutique à certaines personnes malades qui viendront en homéopathie chercher des soins. Un maître guérisseur se cache entre les lignes de ce livre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire