mercredi 29 juillet 2015

Essai sur l'origine de la violence (Annie Leclerc/Nancy Huston)



Nancy Louise Huston est née  en 1953 en Alberta. C'est une écrivaine franco-canadienne de réputation internationale. Elle est une grande militante des droits des femmes. Elle est officiellement la compagne du peintre Guy Oberson. J'aime profondément ces deux femmes porteuse de lumière.

Passions d'Annie Leclerc, livre-hommage de Nancy Huston.

Annie;
Les pères bourreaux, les bêtes sanguinaires et hideuses furent peut-être des enfants doux et sensibles qui soudain, sauvagement, se souviennent. La souffrance de l'enfant les horrifie tant, les mord d'une si terrible façon que c'est à lui qu'ils s'en prennent, hâtant la mort dont ils n'ont fait qu'entrevoir le plus intolérable visage. Il arrive que la pitié sombre et défaille dans le meurtre.

Nancy:
Cette "chose qui effraie la pensée", l'intuition que le meurtre serait une manifestation dévoyée de la pitié, est bien difficile à admettre. C'est qu'en ce début du XXIe siècle, le monde ne semble guère disposé à l'approfondir. Elle, elle voit de quelle manière l'humiliation se mue chez les petits en sadisme, et l'impuissance en rage. On porte la honte du péché de l'autre.

Annie Leclerc s'applique à faire parler ceux qui n'ont jamais eu accès à la parole: les Gilgamesh ratés, les guerriers sans épopée (partout dans le monde les détenus sont des hommes à 95%), ceux qui ont trouvé pour se faire admirer non la geste héroïque mais le geste brutal et destructeur. En quinze ans de rencontres avec des centaines de prisonniers, Annie disait n'en avoir jamais rencontré un seul qui ait vécu normalement avec son père. Le père était: ou absent, ou très violent, ou les deux en alternance. Et ces hommes détenus en étaient restés... sans voix.

Peu à peu Annie comprend que ce qui la sépare le plus des hommes, ce n'est pas la prison, c'est l'enfance. Annie avait eu une bonne enfance, et eux une mauvaise. Tout est là... Pourquoi ne dénonce-t-on pas ce mal? À cause de la peur. 

Annie:
Non pas la peur de quelque chose de précis, mais la peur tout court, qui vous coupait les jambes, vous paralysait, vous asséchait la bouche, vous forçait à détourner les yeux, comme si on ne voyait rien. C'est la honte de l'autre, pour l'autre, à cause de l'autre. Honte dans laquelle on est pris jusqu'à la défaillance. Mais pourquoi?

Parce que l'enfant est dans l'adulte, vit dans l'adulte. Enfant et adulte tiraillé entre celui qui a peur et celui qui fait peur, celui qui subit et celui qui impose, celui qui endure et celui qui se venge. Il faut écouter Hitler, dans cette scène du film "La chute" racontant sa décision de s'acharner impitoyablement contre ses propres faiblesses.

Nancy
Les prisonniers ont appris à Annie une vérité que préfèrent ignorer les hommes politiques, surtout ceux qui prétendent résoudre les problèmes en faisant construire encore et toujours, de nouvelles prisons: LA PUNITION NE SUIT PAS LE CRIME ELLE LE PRÉCÈDE. On deviendrait criminel parce qu'on a été puni? Comment pourrait-il en être autrement? Ce serait par hasard que les prisons regorgent d'orphelins, d'anciens enfants battus ou abandonnés, de pauvres, d'illettrés, de laissés-pour-compte? Que fait la punition? 

Annie
Blessure indélébile... elle fait découvrir à l'enfant la misère de l'adulte, ce qui est un chagrin dont nul ne pourra jamais se remettre tout à fait... Pas même la pauvre revanche qu'il prendra adulte à punir à son tour ne suffira à le consoler.


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