samedi 26 octobre 2013

Albert Jacquard



Albert Jacquard, scientifique et généticien, devint le célèbre Albert Jacquard par le militantisme. IL est décédé en 2013


Je lis: Dans ma jeunesse d'Albert Jacquard. Un homme exceptionnel d'une simplicité tout aussi exceptionnelle raconte un épisode tragique de sa vie, et voilà qu'il  nous touche en plein coeur...


" Mon enfance se termina à neuf ans. Un accident occultera  tout mon passé. Dans mon souvenir il n'y a pas d'avant l'accident.

Il fait très froid, pluie et verglas. Mon père qui conduit, ne peut dégager à temps la voiture de la voie du tramway; le tram arrive à cet instant, c'est le choc frontal. Mon plus jeune frère, cinq ans, est tué sur le coup. Mes deux grands-parents paternels mourront le lendemain; mon père est moins gravement blessé, le volant l'a protégé. Quant à moi, je suis entre les mains des chirurgiens qui réparent mon visage enfoncé; ils redressent mon nez, les pommettes, ils font ce qu'ils peuvent. Je suis dans la même chambre où ma grand-mère est en train de mourir et j'ai terriblement soif mais personne ne s'occupe de moi. Je me sens abandonné.

Un choc de fin du monde. L'image entraperçue à l'instant charnière est indélébile, elle se plaque définitivement sur tout ce que je tente de montrer de moi-même et s'interpose entre le réel et le visible. La cicatrice demeure, malgré les tentatives de réparation, elle reste et restera définitivement la trace d'un ravaudage maladroit.

Le petit garçon est devenu le vieil homme que je suis. J'ai été préoccupé par le duel incessant, constamment réactivé qui oppose mon apparence à la réalité qui demeure inaccessible. Car je ne peux m'avancer que masqué. Semblable au mystérieux personnage obligé, par ordre du roi, de camoufler son identité en portant un masque que la légende dit "de fer", j'ai perdu la liberté de dévoiler aux autres et à moi-même comment est alimenté le foyer de mon être. J'ai longtemps cru que le recours à un masque, imposé par l'accident lui-même, était une particularité de mon aventure personnelle.

Après l'accident, je ne me reconnaissais plus dans la glace. Tous les miroirs étaient devenus mes ennemis intimes, et c'est toujours vrai. Je ne me suis jamais réconcilié avec mon visage. Celui que les autres voient n'est pas moi. J'ai toujours ce sentiment qu'un obstacle me sépare de celui qui me regarde. Ce n'est pas le vrai! Je vis avec un masque, pas un masque de fer, mais un masque de peau.

Peut-être est-il proche l'instant où je découvrirai la vraie nature du personnage qui s'est construit en moi, qui est devenu moi, et comme les enfants le disent en jouant... "je brûle".


Ce texte se veut un hommage ému à cet homme "immense".

vendredi 25 octobre 2013

Marie, la Vierge....



Icône russe de la Vierge Marie

La naissance miraculeuse de Jésus, fils d'une vierge est un ajout relativement tardif à la doctrine. Certitude absolue, au milieu du Ier siècle, l'apôtre Paul ne sait rien de ce prodigieux détail concernant l'origine de celui qu'il tient néanmoins pour "Fils de Dieu" et presque Dieu lui-même. Il souligne que Jésus est bien né par la chair, de la Maison de David, né d'une femme "gunès" et non d'une vierge "parthenos". Il est infiniment probable que Pierre, lui aussi mourut dans la même ignorance que Paul d'une naissance due à l'opération du Saint-Esprit.

A quel moment cette légende apparut-elle chez ses disciples? Le plus vraisemblable pour l'heure, est de supposer que dans leur conquête de l'Asie Mineure, quand les propagandistes du Nazaréen rencontrèrent, en Phrygie peut-être, le culte d'une Cybèle/Démeter, vierge et féconde, ils ne supportèrent pas d'être dépassés en prestige. Pour donner naissance à Jésus - l'épouse d'un charpentier rural d'allure, face à une déesse intacte et immensément créatrice - il se peut  qu'ils aient voulu rivaliser avec cette mythologie païenne faisant du Nazaréen l'enfant d'un miracle, le produit d'une intervention divine.

Chez Mathieu et chez Luc, une généalogie de Jésus - deux textes discordants - aboutit à Joseph, descendant du roi David mais c'est sans intérêt puisqu'il n'y est pour rien dans l'enfantement de Jésus. L'ange annonciateur, chez Luc, dédie à Marie une prédiction fausse: "Au fils que tu vas concevoir, le Seigneur Dieu donnera le trône de David". Mais Mathieu raconte autre chose. Pas de scène d'annonciation chez lui, mais un Joseph qui prend assez mal la grossesse de sa fiancée qui n'est pas encore son épouse. Elle ne lui a donc rien  expliqué? Et c'est un ange qui apparaît à Joseph en songe pour lui révéler l'acte générateur accompli dans les entrailles de Marie par l'Esprit-Saint.

Le nom de Marie n'apparaît qu'une seule fois chez Luc (41-50) Étrangement, la mère de Jésus n'est nullement nommée  alors que sont nommées les femmes qui de loin, assistaient à la crucifixion. Ce n'est pas Marie qui réclame le cadavre de Jésus à Pilate - ce qui retire toute valeur commémorative aux innombrables "pieta" peintes ou sculptées, où l'on voir Marie tenant dans ses bras le corps de son fils décloué de la croix - Marie n'a pas été, non plus, choisie parmi les privilégiés à qui Jésus est apparu après sa résurrection. Le texte de Mathieu, où sur la croix, Jésus remet sa mère à son disciple préféré est considéré par les exégètes comme une possible fiction ajoutée.

Ce n'est qu'au XVe siècle que Marie est proclamée "Mère de Dieu" et c'est au XIXe et XXe siècle que la papauté, soudain, prit feu dans une mariologie galopante, effrénée. D'abord Pie IX déclare Marie exempte du péché originel, bénéficiant par conséquent d'une Immaculée Conception, alors que ce cadeau divin lui avait été expressément refusé par saint Augustin au Ve siècle, saint Bernard au XIIe siècle, et au XIIIe siècle par saint Thomas d'Aquin. En 1950, Pie XII ajoutera en l'honneur de Marie, un nouvel article de foi, l'Assomption de Marie dès son dernier soupir, enlevée par un  irrésistible appel d'air céleste afin qu'elle soit dispensée, dans sa résidence désormais éternelle, du triste sort de toute chair  terrestre après le trépas. L'Assomption est proclamée dogme par l'infaillibilité de Pie XII, et dès lors, les apparitions ne cessèrent de se multiplier. Depuis, dans tout missel autorisé, à l'ordinaire de la messe, à l'occasion du Mea culpa, est invoqué "la bienheureuse Marie, toujours vierge! Après deux mille ans!

L'infaillibilité du pape en prend un coup, un coup de poing!

jeudi 24 octobre 2013

Marcel Légault se compromet courageusement...


Marcel Légault, mathématicien, berger, laïque, phare spirituel


Ne pas perdre coeur. Se cramponner à l'espérance. Parce que le christianisme, dans sa vérité, est irremplaçable. L'Église a besoin d'un redressement sans précédent dans son histoire, une véritable mutation, ... contre laquelle elle se dresse !!! La chrétienté est en train de se décomposer, elle agonise, il y a de toute évidence une faillite de l'Église. Le fossé se creuse toujours davantage entre la vérité chrétienne et le monde contemporain.

Paul est responsable du thème barbare d'une rédemption par effusion de sang humain. Que s'efface  la légende de Jésus prenant congé de la Terre, dans une ascension verticale vers ce "plus haut des cieux", entièrement dénudé de signification, Jésus n'a jamais parlé de l'Ascension. Et que disparaisse aussi, l'invitation faite aux fidèles de déglutir le "corps" du Christ, le corps physique de Jésus dans un fragment de pain azyme préalablement métamorphosé au moyen d'une parole convenue. Et que dire de la descente de Jésus aux enfers, après sa mort... 

Les premiers disciples ont eu le sentiment de pénétrer tout à coup dans la lumière. Les paroles  de Jésus étaient une réponse à l'universelle exigence humaine, à l'espérance  fondamentale de l'homme. Le Nazaréen nous conduit à cette profondeur où l'homme est vraiment homme et rencontre Dieu. Marcel Légault insiste: Travailler, selon ses capacités, en vue de la "mutation" salvatrice du retour aux origines.

Après avoir lu ce texte, Henri Guillmain écrira: Un coup de poing en pleine figure? Oui, mais en même temps, une main qui me prenait le coeur.

En novembre 1990, Marcel Légault est mort "catholique". Le Vatican le détestait...

Je lis Malheureuse Église écrit par Henri Guillemain. (à suivre)

mercredi 23 octobre 2013

Marcel Légault, authentique éveilleur d'humanité

Marcel Légault (1900-1990)


Marcel Légault est ce mathématicien français qui quitta une brillante carrière universitaire pour vivre dans "sa" montagne et y élever des moutons.  Il réunissait chez lui des petits groupes de gens préoccupés comme lui par les problèmes religieux. Il disait que le passage de Jésus-Christ a marqué puissamment l'histoire de l'Humanité, mais les conséquences de cet épisode déjà lointain s'amenuisent visiblement et sont condamnées, sans doute, à disparaître. Défections individuelles mais continuelles, à chaque génération.

Il écrit: "C'est une passion de comprendre ma foi chrétienne en inventoriant son contenu, ses structures et la consistance de ses éléments. J'ai étudié un par un les "articles de foi" qui constituent la doctrine de la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, passant du difficile à l'impraticable. J'ai buté sur la fameuse sentence de saint Cyprien,"Père de l'Église" au IIIe siècle, reprise par Origène et perpétuellement maintenue par Rome: "Hors de l'Église, point de salut!"

Il met le doigt sur l'étrange comportement d'un Dieu qui se dira "père commun des hommes"et qui commence par se choisir un seul peuple pour être le sien, promis à la domination sur tous les autres. (Quel danger pour l'orgueil et les prétentions de cette race dite "élue"). 

Il se méfie de ce qu'il nomme "le fonds ancestral de superstition" où persiste la tendance première des hommes. Il déplore, au milieu du Ier siècle, la construction d'une synthèse qui s'impose à la pensée chrétienne. "Je ne prononce pas le nom de Paul, mais c'est bien lui qui est en cause lorsqu'on recherche l'origine d'une certaine idée barbare, primitiviste, inadmissible de la Rédemption. La mort de Jésus pour la rémission des péchés apparaît dans les évangiles uniquement dans Mathieu, sans que nous puissions savoir si ces mots figuraient dans la très antérieure version araméenne de son texte. Paul accrédita, en outre, que la résurrection du Christ était l'essentiel du christianisme et que sans elle, il n'était rien. Il va jusqu'à déclarer: "Si le Christ n'est pas ressuscité, vide est alors notre message; vide aussi notre foi" (I Co, 15-14). Comme si une victime sanglante était réclamée par Dieu. Mais sous la poussée du vieil esprit juif ou survivait du paganisme, les apôtres  insufflés par Paul lancèrent la légende donnant la mort sur la croix pour le but ultime et quasi unique de la vie de Jésus, réponse à une volonté expresse de Dieu, décret impitoyable du Tout-Puissant.

Bouleversés et comme enivrés par les comportements, les paroles, la rayonnante personnalité de Jésus, les disciples furent pour ainsi dire contraints, presque malgré eux, dans leur passion et leur enthousiasme pour ce ressuscité, à proclamer "ce qu'ils appelèrent sa divinité". Ils ne trouvaient pas d'autres mots pour nommer ce qu'ils devinaient de sa "transcendance" et de son extrême liaison avec Dieu. Ces juifs ne se rendaient pas compte  de la légèreté, de l'extrême obscurité, de l'invraisemblance de leur proclamation: Jésus est Dieu! formule s'ouvrant sur l'inconcevable. Nul ne saurait dire combien une affirmation trop rapide, trop superficielle de la divinité de Jésus a pu nuire, au cours des siècles, à l'intelligence de son humanité et de sa mission.

C'est si clair...

Extrait du livre Malheureuse Église de Henri Guillemin
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lundi 21 octobre 2013

Le peintre Léon Bellefleur et l'infinie musique des mystères


Léon Bellefleur, 1910-1997


Je lis Léon Bellefleur, la ferveur à l'oeuvre, de Guy Robert

"Il y a tellement de choses qui nous dépassent, derrière nous, dans les futurs dont nous ne savons rien, si on y pense trop, on peut se déboussoler, c'est arrivé à des centaines d'artistes, de savants, de visionnaires, de rêveurs.

Le plus important c'est pas ce que l'on voit, mais ce qu'on imagine.


Bris de couleurs

Chacun apporte sa contribution du mieux qu'il peut à travers tellement d'obstacles et de périls que chaque oeuvre réussie devient un petit miracle. Il s'agit de tellement peu pour que tout chavire: quelques lignes en trop ou en moins, quelques taches de couleurs qui ne s'accordent pas, et c'est raté: il faut gratter, effacer. C'est pourquoi je laisse l'instinct me guider, les visions germer et se développer elles-mêmes, en intervenant le moins possible.


Doux moments

Pour le signer, oui, c'est moi, mais pour le faire, c'est moins clair: c'est ma main bien sûr mais c'est aussi autre chose, comme un souffle ou un courant qui passe. Je n'ai jamais de plans ou de programmes en commençant une oeuvre.

Les grands ancêtres sont importants pour moi. En dessein, Rembrandt et Dürer, Seurat, Lautrec, Van Gogh. En peinture, Rembrandt encore et toujours, Velasquez, aussi Klee, Miro, Kandinsky et Picasso qui est partout.

Le mystère d'une oeuvre est très important, il faut qu'il demeure et respecté comme tel. Autrement tout s'effondre, on perd le sens profond, celui qui justement ne s'explique pas. C'est une exploration sans fin ni commencement puisqu'elle vient de bien plus loin et je la sens se poursuivre en moi, et bien au-delà. 

La Quête, oui, cette quête m'a permis de découvrir  une sorte de passage secret vers le subconscient, vers des réserves insoupçonnées, inépuisables, qui appartient à toute l'humanité, à l'Univers.


À l'occasion de ses onze ans

L'oeuvre est un passage, un rituel, une sorte d'évocation du merveilleux, du mystère de la vie, du Sens de la vie que l'on cherche inlassablement, des bribes que le hasard dévoile, des émotions que j'essaie de communiquer dans mon authenticité propre, avec toute ma ferveur.

Ferveur, c'est le mot clé chez Bellefleur: "Peindre, ça répond à une sorte d'urgence, c'est partir à la recherche d'un secret oublié au fond de soi. Un mystère traverse la main du peintre pour se manifester sur la toile".

C'est cette ferveur que j'aime, qui m'émeut et c'est ce qui m'interpelle d'abord  chez tous ceux que j'aime.

Guy Robert a recueilli ces propos de Léon Bellefleur lors d'un entretien remarquable. Léon Bellefleur est l'un des plus importants peintres québécois de la deuxième partie du XXe siècle.

dimanche 6 octobre 2013

L'Écriture et des milliards de livres de papier vont disparaître...


Aujourd'hui, j'ai entendu à la radio une nouvelle terriblement éprouvante. Certaines écoles de France ont retiré de leur programme l'apprentissage de l'écriture manuscrite; à la place, sera privilégié l'apprentissage de Word !!!

Les États-Unis se sont déjà prononcé: apprendre à écrire ne sera plus obligatoire dans 45 États américains; d'ici 2014, ce sera optionnel. Les enfants ne comprennent déjà plus les messages écrits de leurs parents et en Grande-Bretagne, 40% des citoyens déclarent n'avoir rien écrit à la main depuis six mois.

Pourtant les messages des textos des jeunes sont souvent révélateurs d'une pauvreté grammaticale et littéraire navrantes. Un seul mot me monte en tête et il est terrible: décadence!

Pour en remettre, j'achète un livre de Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l'apocalypse et je lis ceci:

"L'apocalypse est en train d'avoir lieu et nous ne faisons rien. Le plus gigantesque autodafé de l'Histoire a commencé: des milliards de livres de papier vont disparaître dans l'indifférence générale, remplacés par des écrans. Les librairies ferment les unes après les autres; puis viendra le tour des maisons d'édition et des bibliothèques. J'aurai au moins tenté avec ce bilan de sauver 100 livres du brasier, mes 100 oeuvres préférées du XXe siècle...."

 Je réserve ce livre pour une personne très chère...

Sans savoir tout ça,  ma petite-fille Rosalie m'a confié récemment: "Mamie-Gi, j'ai décidé d'abandonner l'écriture scripte, je veux utiliser l'écriture cursive maintenant". Petit coeur! Je la sais sensible à la Beauté. Une écriture cursive, c'est une façon de calligraphier la BEAUTÉ.  Et ce jour, cette confidence devient une consolation.

Davantage encore, je comprends que la vingtaine de cahiers manuscrits que je léguerai à ma descendance seront lettre morte pour la plupart d'entre eux... Tout cela m'attriste énormément.

samedi 5 octobre 2013

Pour honorer Gaétan Soucy...


Gaétan Soucy

Pour honorer Gaétan Soucy, je me permets de reproduire ici, un résumé du livre La petite fille qui aimait trop les allumettes, document produit par les Éditions Boréal. Extrait d'un texte de Peter O Dabachian


Ce livre est indiscutablement un livre très fort. De ceux qui font frissonner, font dresser les poils sur votre peau. Une impression d'ivresse totale peut vous envahir. Vous risquez de vous sentir pris dans un tourbillon de mots. Le style comme l'histoire peuvent  vous enivrer, vous emporter. Comme lorsqu'on lit ce livre de William Faulkner : "Tandis que j'agonise".

Il s'agit de l'histoire étrange de deux enfants d'une quinzaine d'années qui se retrouvent seuls et perdus, dans une immense demeure, une sorte de château. Ils sont confrontés à une soudaine liberté, de façon dramatique. Et ne savent pas comment apprivoiser cette liberté.

Leur père, un tyran familial brutal et torturé par ses démons, obsédé par la culpabilité et l'idée de châtiment, les a élevés complètement retirés du monde et de la plus élémentaire réalité. Ce matin-là, celui où commence l'histoire, le père vient de se pendre. Les deux enfants ont trouvé sa dépouille au lever du jour. L'un des deux adolescents cherche comment s'en sortir, cherche à démêler les fils du passé, à comprendre comment ils en sont arrivés là, et ce qui les attend. L'autre adolescent, après la perte du père et des repères, fonce tête baissée comme une brute irréfléchie.

La quête d'un cercueil pour enterrer le père, amène l'un des enfants à la rencontre des habitants du village. Elle évoque l'errance des personnages de "Tandis que j'agonise" accompagnant la dépouille de la mère.

Comme les personnages de Faulkner, les deux enfants sont maintenus autour de la dépouille qu'ils conservent;  une espèce de saga familiale imperméable au reste du monde. Une saga qui les entraîne vers une issue déraisonnable, à la mesure de leur délire. Des deux enfants, l'un écrit tout ce qu'il se passe : il instruit le déroulement du passé, des souvenirs, le mystère familial, comme le déroulement du destin terrible qui les attend forcément (ils ont vécu en reclus, personne ne comprend le monde étrange dans lequel le père les a enfermés). Cet enfant-là, l'écrit-vain, celui qui a apprivoisé les mots et qui les utilise pour se sauver, le père l'a surnommé le "secrétarien". Parce que dans le style de Gaëtan Soucy, il y a le même jeu enivrant avec les mots, la même invention avec le langage qu'il peut y avoir chez Réjean Ducharme.

Ce livre est un bijou à  lire en ces temps de deuil.

Bon vent, Gaétan Soucy!

vendredi 4 octobre 2013

Gaétan Soucy, un bel être humain...


Gaétan Soucy  1958-2013


Quand les poètes meurent, je suis affligée parce que certains d'entre eux m'accompagnent et au fil des jours me nourrissent d'amour et d'idéaux. Peter O Dabachian nous dit que "pour honorer Gaétan Soucy du mieux que nous le pouvons, ce serait de devenir meilleurs que nous ne le sommes". Son message me parle aussi fort que celui d'un évangile.

Je retiens cette phrase du livre "L'acquittement" de Gaétan Soucy: "La catastrophe essentielle qui fonde la réalité du monde, c'est la mort inéluctable de ceux qu'on aime. À qui prétendrait croire en l'irréalité des choses, il suffirait de rappeler la réalité du deuil." Il disait aussi que l'homme est cet être qui peut et doit faire sens de sa souffrance. Il veillait sur ceux qu'il aimait. Il était tissé de cette fibre-là.

Extrait d'un article écrit par Peter O Dabachian, philosophe.

Son livre, "La petite fille qui aimait trop les allumettes" en nomination pour le prix Renaudot, a été traduit en une vingtaines de langues et l'a rendu célèbre.  Gaétan Soucy était un très aimé professeur de philosophie, un poète écrivain magnifique, un fin connaisseur du Japon et de sa langue mais par dessus tout, c'était un homme bon. Moi aussi, je l'aime!
(à suivre)

mardi 1 octobre 2013

Les livres m'émeuvent...



Un livre enluminé
Livre de la chasse de Gaston Fébus, au chateau de Foix

Alberto Manguel écrit:

"Je me demande pourquoi je conserve tant de livres dont je sais que je ne les relirai jamais. Chaque fois que je me débarrasse d'un livre, je m'aperçois quelque temps plus tard que c'est précisément ce livre que je cherche. Je sais que la raison majeure à  mon attachement à ce trésor amassé sans relâche est une sorte d'avidité voluptueuse. J'aime contempler mes bibliothèques encombrées, pleines de noms plus ou moins familiers. Je trouve délicieux de me savoir entouré d'une sorte d'inventaire de ma vie, assorti de prévisions de mon avenir. J'aime découvrir, dans des volumes presque oubliés, des traces du lecteur que j'ai été un jour - griffonnages, tickets d'autobus, bouts de papier avec des noms et des numéros mystérieux - et parfois, sur la page de garde, une date et un lieu qui me ramènent à un certain café, à une certaine chambre d'hôtel, à un été d'autrefois. Je pourrais, s'il le fallait, abandonner tous mes livres et recommencer ailleurs; je l'ai déjà fait plusieurs fois, par nécessité. Mais alors j'ai dû admettre une perte grave, irremplaçable. Je sais que quelque chose meurt quand je me sépare de mes livres, et que ma mémoire continue de se tourner vers eux avec une nostalgie endeuillée. Et à présent, avec les années, ma mémoire se souvient de moins en moins bien, et elle m'apparaît comme une bibliothèque mise à sac; de nombreuses chambres ont été fermées, et dans celles qui sont encore ouvertes à fin de consultation, il y a sur les rayonnage de grands espaces vides. Je prends un des livres restants et je m'aperçois que plusieurs pages ont été arrachées par des vandales. Plus ma mémoire se dégrade, plus je souhaite protéger ce reposoir de mes lectures, cette collection de textures, de voix et d'odeurs. La possession de ces livres est devenue pour moi d'une importance capitale, parce que je suis devenue jaloux du passé".


Alberto Manguel est de ce jour partie prenante de ma famille cosmique. Une reconnaissance instantanée d'une même texture de sensibilité, d'un même désir de tout savoir et d'un même amour considérable pour le livre.  Une reconnaissance d'affinité.

J'ai dû par nécessité me départir, aussi, de certains livres lors de déménagements; et je porte dans ma mémoire le péché de certaines destructions malheureuses. Toujours avec chagrin. J'ai la nostalgie de tous les livres que j'ai abandonnés tout au long de ma vie. Quand je les retrouve par hasard dans une vente de garage, je les rachète petit à petit, avec une satisfaction profonde. J'aime qu'ils soient usagés. Un jour, je sais que je retrouverai "Citadelle" oeuvre posthume d'Antoine de St-Exupéry, ce livre qui n'a jamais été achevé...  et que je n'ai jamais cessé d'espérer. Parfois, quand je vais à la bibliothèque, j'ai la pensée que j'aimerais lire absolument tous les livres du lieu, même ceux cachés dans les réserves. Je me sens un peu farfelue, alors....



Antoine de Saint-Exupéry. J'aime cette photo, sa plus belle... 

Un beau livre, y a rien de plus beau et ça sent si bon l'encre et le papier. J'ai un livre magnifique plein d' enluminures médiévales, j'aime le regarder dans la clarté du jour pour voir le soleil caresser les ors, les bleus royal et les rouges feu des dessins et, les calligraphies  si belles, si délicates, si raffinées! 

J'aime me rappeler ces temps révolus, où je glissais un coupe-papier entre les pages d'un livre neuf pour en libérer les textes; geste rituélique qui activait une anticipation fébrile et bien-aimée.

J'ai un souvenir ému de Marie-Héllène enfant, qui avant de chercher un mot dans son dictionnaire, souvent, enfouissait son visage dedans, et le respirait.