Romain Gary 1914-1980
Je prétends que le premier homme
à avoir parlé d’une voix féminine au monde, c’est Jésus-Christ. Les valeurs de
tendresse, de compassion, d’amour sont des valeurs féminines et elles ont été
prononcées par un homme qui s’appelle Jésus.
En réalité on est toujours étonné
qu’un agnostique comme moi soit tellement attaché au personnage de Jésus.
Ce que je vois dans Jésus et dans
le christianisme - en dépit du fait qu’il soit tombé dans des mains masculines et
devenues sanglantes par définition - c’est la voix de la féminité en dehors de toute
question d’appartenance catholique que je peux avoir techniquement. On ne comprendra
absolument rien à mon œuvre si l’on ne comprend pas le fait très simple que ce
sont d’abord des livres d’amour et presque toujours, l’amour de la féminité. Si j’écris
un livre dans lequel la féminité n’apparaît pas, elle y figure comme un manque,
comme un trou.
Je ne connais pas d’autres
valeurs personnelles, en tant que philosophie d’existence, que le couple. Je
reconnais que j’ai raté ma vie sur ce point. Ce que j’ai fait de plus valable, c’est
d’introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j’ai écrit, cette passion
de la féminité.
Si on me demande de dire quel a
été le sens de ma vie, je répondrai toujours – et c’est vraiment bizarre pour
un homme qui n’a jamais mis les pieds dans une église autrement que dans un but
artistique – que cela a été la parole du Christ dans ce qu’elle constitue pour
moi l’incarnation de la féminité.
Je pense que si le christianisme
n’était pas tombé entre les mains des hommes mais entre les mains des femmes,
on aurait eu aujourd’hui une tout autre vie, une tout autre société, une tout
autre civilisation. Je voudrais seulement avoir encore le temps de continuer
dans la même direction aussi longtemps que possible, simplement par amour de la
femme. Je ne voudrais pas qu’il y ait plus tard, quand on parlera de Romain
Gary, une autre valeur que celle de la féminité.
Ce texte est un extrait d’un entretien accordé par Romain Gary à Roger
Grenier de Radio-Canada « Ces paroles ultimes serrent le cœur »
écrit-il.
Moi aussi j’ai le cœur serré. Peu de mois après l’enregistrement, Romain
Gary mettait fin à ses jours, le 2 décembre 1980, d’une balle dans la tête.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire