samedi 30 avril 2016

Romain Gary, ultimes paroles...




Romain Gary 1914-1980


Je prétends que le premier homme à avoir parlé d’une voix féminine au monde, c’est Jésus-Christ. Les valeurs de tendresse, de compassion, d’amour sont des valeurs féminines et elles ont été prononcées par un homme qui s’appelle Jésus.

En réalité on est toujours étonné qu’un agnostique comme moi soit tellement attaché au personnage de Jésus.

Ce que je vois dans Jésus et dans le christianisme - en dépit du fait qu’il soit tombé dans des mains masculines et devenues sanglantes par définition - c’est la voix de la féminité en dehors de toute question d’appartenance catholique que je peux avoir techniquement. On ne comprendra absolument rien à mon œuvre si l’on ne comprend pas le fait très simple que ce sont d’abord des livres d’amour et presque toujours, l’amour de la féminité. Si j’écris un livre dans lequel la féminité n’apparaît pas, elle y figure comme un manque, comme un trou.

Je ne connais pas d’autres valeurs personnelles, en tant que philosophie d’existence, que le couple. Je reconnais que j’ai raté ma vie sur ce point. Ce que j’ai fait de plus valable, c’est d’introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j’ai écrit, cette passion de la féminité.

Si on me demande de dire quel a été le sens de ma vie, je répondrai toujours – et c’est vraiment bizarre pour un homme qui n’a jamais mis les pieds dans une église autrement que dans un but artistique – que cela a été la parole du Christ dans ce qu’elle constitue pour moi l’incarnation de la féminité.

Je pense que si le christianisme n’était pas tombé entre les mains des hommes mais entre les mains des femmes, on aurait eu aujourd’hui une tout autre vie, une tout autre société, une tout autre civilisation. Je voudrais seulement avoir encore le temps de continuer dans la même direction aussi longtemps que possible, simplement par amour de la femme. Je ne voudrais pas qu’il y ait plus tard, quand on parlera de Romain Gary, une autre valeur que celle de la féminité.

Ce texte est un extrait d’un entretien accordé par Romain Gary à Roger Grenier de Radio-Canada « Ces paroles ultimes serrent le cœur » écrit-il.

Moi aussi j’ai le cœur serré.  Peu de mois après l’enregistrement, Romain Gary mettait fin à ses jours, le 2 décembre 1980, d’une balle dans la tête.

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