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dimanche 10 novembre 2013

"Simone Weil, le plus grand esprit de notre temps" Camus


Simone Weil

La forme particulière de l'intelligence de Simone Weil la déborde de toutes parts.  Ses tourments physiques la rendent vulnérable, ouverte, béante même. C'est quand elle est très bas qu'elle se sent le plus près du Christ, être au plus bas, donc, ne pas chuter. Là, elle ne peut plus penser à cette éternelle contradiction: Dieu existe, Dieu n'existe pas. Physiquement, elle oublie qu'elle a un corps et devient progressivement un pur esprit. Seule la poésie lui apporte un peu de paix, elle lit saint Jean de la Croix et commente l'apôtre Paul.

Simone  se rend à Carcassonne, sur les pas des Cathares. D'anciens condisciples la décrivent vêtue de bure, les pieds nus dans des sandales, dépouillée de toute préoccupation charnelle, comme une sainte du Moyen Âge. Un moine dom Clément Jacob, après l'avoir écoutée, la traite d'hérétique. Elle est comme une religieuse sans ordre, une personne androgyne, ascétique, un électron libre. Elle n'est qu'écriture. Son corps entier devient écriture. Elle ne se nourrit qu'à minima pour pouvoir encore tenir son stylo. Sait-elle que son temps lui est compté? Jamais elle n'écrira autant.

Pietro Citadi lui consacre un très beau texte dans ses Portraits de femmes: "Simone Weil est dans un autre espace, une autre temporalité, loin de tout, apte à laisser entrer le vide en elle: alors elle ressentait un déchirement intime, et, dans ce vide, descendait la fluidité de la grâce. Un contact infiniment léger, l'espace d'un instant. Elle faisait ainsi descendre son âme en ce lieu inconnu des hommes, où la douleur était joie et la joie douleur."

Même si sa position est sans cesse contradictoire - c'est peut-être pour cela que nous l'aimons tant - elle est de manière inexpugnable, attachée au Christ oscillant entre un Christ historique et un Christ cosmique. Elle a été "saisie" par Dieu, prise pour toujours. Cette joie qu'elle avait découverte de contempler la nature, elle ne se le permet plus, elle ne s'en accorde plus le droit: "Voir un paysage tel qu'il est quand je n'y suis pas. Quand je suis quelque part, je souille le silence du ciel et de la terre par ma respiration et le battement de mon coeur." Pourquoi tant de dévalorisation d'elle-même? Pourquoi tant de volonté de souffrance? Simone Weil considère que l'extrême malheur est une voie d'accès privilégiée à Dieu.

Elle accorde une intensité extraordinaire à la faculté d'attention, une sorte de concentration extrême qui permet l'ouverture de l'âme.

"Il faut savoir mourir, c'est le travail de toute une vie" écrira-t-elle. Simone Weil s'est éteinte dans son sommeil le 24 août 1943, au sanatorium d'Ashford, au milieu d'une nature bienveillante, magnifiée par l'été. Sa mort fait la une des journaux, sa mort a des accents de mystère. Albert Camus dira: "Simone Weil est le plus grand esprit de notre temps." Laure Adler termine son livre en disant: " Le combat pour la reconnaissance de Simone ne fait que commencer."

L'Insoumise, Simone Weil de Laure Adler

samedi 9 novembre 2013

Simone et André Weil en Amérique...


Simone Weil

Laure Adler :

Simone Weil écrit Conseil de la révolte au coeur de l'année la plus noire de la guerre, d'une seule coulée brassant des éléments historiques, mythologiques avec des fragments d'expérience qu'elle a vécus comme ouvrière d'usine et militante politique d'extrême gauche. C'est probablement ce texte qui fut lu en entier par le général de Gaule; il fut à l'origine de la décision de créer le Conseil national de la Résistance.

Soixante ans plus tard, on est frappé en lisant ce livre par l'importance d'une notion bien oubliée aujourd'hui, je veux parler de celle de l'âme. L'âme a des besoins dit-elle, sinon plus que le corps et si on ne prend pas garde de les assouvir, c'est toute notre société qui s'en trouvera déréglée. Le risque est un besoin essentiel de l'âme, sinon que de l'ennui et de la peur.

La famille s'embarqua pour l'Amérique  le 14 mai 1942. Simone exigea de voyager en quatrième classe. Lors de la traversée, on la questionna sur son manque d'appétit. Elle était déjà fort maigre. Elle répondit qu'elle n'avait pas le droit de manger plus que ceux qui étaient restés en France. Elle était obsédée par l'idée de revenir en France et de partager leur malheur. Son frère André était déjà arrivé aux États-Unis, pris en charge par la fondation Rockfeller dans le cadre de sauvetage des scientifiques français. Les Allemands avaient procédé en Pologne, à la destruction systématique des élites intellectuelles juives. Louis Rapkine, un jeune biochimiste canadien avait convaincu la fondation qu'il fallait faire sortir de France, le plus vite possible, les scientifiques français, juifs ou non. En tant que juifs, les parents de Simone craignaient pour leur sécurité et celle de leur fille. 

Des textes inédits maintenant accessibles permettent de restituer l'ampleur des questionnements d'une femme qui se considère chrétienne et qui ne s'est  jamais ressentie juive; elle qui a été arrêtée trois fois par la gestapo mais qui  n'a jamais porté l'étoile jaune; ce qui ne l'a pas empêchée d'entrer en résistance dès 1940 et de lutter contre le nazisme. Elle souffre de son inutilité. Elle fuit ce cafard qui s'empare d'elle en passant ses journées à la bibliothèque, elle y étudie le catharisme et tous les mouvements jugés hérétiques par l'Église: "Je fouille les recoins de la théologie" écrit-elle. Les discussions sont nombreuses avec son frère, André. Elle est tourmentée par l'idée de savoir si elle doit se faire baptiser. Elle prend l'habitude de coucher par terre pour marquer sa solidarité. Plus jamais, elle ne dormira dans un lit sauf malade dans des hôpitaux. Simone Weil brûle.....

Je lis L'Insoumise, Simone Weil, écrit par Laure Adler  (à suivre)

vendredi 8 novembre 2013

Simone Weil, une sainte moderne



Simone Weil, philosophe française (1909-1943)


Je lis L'Insoumise, Simone Weil de Laure Adler


Son nom est connu dans un cercle d'initiés qui la considèrent comme une icône de la pensée contemporaine et qui se ressourcent régulièrement à ses écrits.

Simone de Beauvoir se souvient de l'avoir croisée en juin 1926, dans la cour de la Sorbonne: "Elle m'intriguait, à cause de sa grande intelligence et de son accoutrement bizarre... Une grande famine venait de dévaster la Chine, et l'on m'avait raconté qu'en apprenant cette nouvelle, elle avait sangloté: ses larmes forcèrent mon respect encore plus que ses dons philosophiques."

Simone Weil, pourtant, ne pleurait pas souvent mais elle était en empathie avec les autres ainsi qu'avec les événements. Elle souffrait pour ceux qui souffraient et voulait leur venir en aide. Elle-même a passé sa vie à souffrir, mais ne s'intéressait guère à elle. "Elle n'était pas comme les autres, pas seulement dans son apparence physique, dans sa manière de s'enflammer pour des causes politiques mais aussi pour une profonde indifférence à elle-même, une volonté, avant même d'avoir vingt ans, d'être inquiète de tout et sur tout et de ne pas vouloir s'installer dans la vie". Alain son professeur, celui qui l'avait formée et dont elle se sentira proche jusqu'à son dernier souffle de vie, l'avait surnommée "La Martienne". (Jacques Ganuchaud)

Elle n'avait cure de ses migraines, de son état d'épuisement. Elle était tellement volontariste qu'elle pensait qu'elle allait encore gagner contre cette fatigue immense pour continuer à écrire sur l'avenir de la France et vivre enfin ce moment où son pays serait libéré.

France Culture m'offrit la possibilité, à l'été 2007 de lui rendre hommage. Je me plongeai alors, pour la première fois dans cet immense chantier que sont ses cahiers. Ce fut une véritable odyssée, un vertige. L'admiration se transformait en passion. Ce livre est un livre d'admiration qui se donne pour but d'agrandir le cercle des amoureux de Simone Weil .

J'aime déjà d'amour Simone Weil, de cette sorte d'amour que j'éprouve pour Etty Hillesum, morte elle aussi en 1943 mais dans un camp de concentration. Ces deux saintes des temps modernes m'habitent et me font du bien. Je pense souvent à elles. J'ai collé au mur, il y a quelques années, la photo de Simone et je croise tout le temps son regard... qui me regarde et son doux sourire ... qui me sourit. Une subtile interpellation spirituelle se met à bouger en moi, toujours la même: devenir une meilleure personne, une personne attentive.

Malgré la souffrance, Simone était un être solaire aimant à rire, discuter, faire de l'humour, nager, aller au théâtre (elle connaissait par coeur des livrets d'opéra). Elle aimait l'Italie jusqu'à la folie, s'absorber dans la beauté d'un paysage ou d'une peinture, bref, une dévoratrice de tout ce que pouvait lui offrir la bonté des êtres et la beauté du monde. Laure Adler

Comment ne pas l'aimer!   (à suivre)