Albert Jacquard, scientifique et généticien, devint le célèbre Albert Jacquard par le militantisme. IL est décédé en 2013
Je lis: Dans ma jeunesse d'Albert Jacquard. Un homme exceptionnel d'une simplicité tout aussi exceptionnelle raconte un épisode tragique de sa vie, et voilà qu'il nous touche en plein coeur...
" Mon enfance se termina à neuf ans. Un accident occultera tout mon passé. Dans mon souvenir il n'y a pas d'avant l'accident.
Il fait très froid, pluie et verglas. Mon père qui conduit, ne peut dégager à temps la voiture de la voie du tramway; le tram arrive à cet instant, c'est le choc frontal. Mon plus jeune frère, cinq ans, est tué sur le coup. Mes deux grands-parents paternels mourront le lendemain; mon père est moins gravement blessé, le volant l'a protégé. Quant à moi, je suis entre les mains des chirurgiens qui réparent mon visage enfoncé; ils redressent mon nez, les pommettes, ils font ce qu'ils peuvent. Je suis dans la même chambre où ma grand-mère est en train de mourir et j'ai terriblement soif mais personne ne s'occupe de moi. Je me sens abandonné.
Un choc de fin du monde. L'image entraperçue à l'instant charnière est indélébile, elle se plaque définitivement sur tout ce que je tente de montrer de moi-même et s'interpose entre le réel et le visible. La cicatrice demeure, malgré les tentatives de réparation, elle reste et restera définitivement la trace d'un ravaudage maladroit.
Le petit garçon est devenu le vieil homme que je suis. J'ai été préoccupé par le duel incessant, constamment réactivé qui oppose mon apparence à la réalité qui demeure inaccessible. Car je ne peux m'avancer que masqué. Semblable au mystérieux personnage obligé, par ordre du roi, de camoufler son identité en portant un masque que la légende dit "de fer", j'ai perdu la liberté de dévoiler aux autres et à moi-même comment est alimenté le foyer de mon être. J'ai longtemps cru que le recours à un masque, imposé par l'accident lui-même, était une particularité de mon aventure personnelle.
Après l'accident, je ne me reconnaissais plus dans la glace. Tous les miroirs étaient devenus mes ennemis intimes, et c'est toujours vrai. Je ne me suis jamais réconcilié avec mon visage. Celui que les autres voient n'est pas moi. J'ai toujours ce sentiment qu'un obstacle me sépare de celui qui me regarde. Ce n'est pas le vrai! Je vis avec un masque, pas un masque de fer, mais un masque de peau.
Peut-être est-il proche l'instant où je découvrirai la vraie nature du personnage qui s'est construit en moi, qui est devenu moi, et comme les enfants le disent en jouant... "je brûle".
Ce texte se veut un hommage ému à cet homme "immense".
Ce texte se veut un hommage ému à cet homme "immense".
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