Habib Bourguiba (1903-2000)
Habib Bourguiba aimait les femmes et les idées. Il les avaient lâchées comme des colombes dans le ciel de l'État tunisien naissant. Il a libéré Ève en même temps que la raison et en son nom. Ben Ali, lui, s'est servi des femmes pour prouver à l'Occident sa légitimité de dompteur de l'intégrisme. Les droits de la femme servaient à masquer l'absence de droits de l'homme et dissimuler l'obscénité de sa dictature.
La bande d'actualité du dévoilement de la femme tunisienne par Bourguiba, en 1956, est en noir et blanc. Une autre ère. De sa main fine, Habib Bourguiba écarte doucement les pans du voile d'une inconnue. Elle le fixe, fascinée. Quand l'étoffe tombe sur ses épaules, il en arrange délicatement les plis et lui caresse la joue. Pour tout le monde aujourd'hui, ces deux-là: le président et l'inconnue forment un très vieux couple. Elle était la femme-symbole qu'il venait de libérer du "chiffon" (ses propres mots) en promulguant l'interdiction de la polygamie et de la répudiation, en légitimant le divorce féminin, l'égalité des droits. Une exception pour l'héritage, le dernier bastion qu'il n'avait pu enlever aux ulémas: à une femme n'échoit toujours que la moitié de la part dont hérite un homme.
Zine el-Abidine Ben Ali, lui, répétait mécaniquement qu'il aimait les femmes et détestait le voile. En octobre 2006, il ordonne à la police d'en arracher quelques uns, au hasard. Objectif: lutter contre l'islamisme. Mais Ben Ali n'est pas Bourguiba: arracher n'est pas dévoiler. Maintenant, il ne reste ni sourire ni tendresse, que des insultes. Aussi les femmes sans voile, comme la journaliste Sihem Bensedrine, défendent-elles celles qui refusent le dévoilement par la violence.
Mais pour Ben Ali, qui libère les femmes peut tout se permettre!
Je lis avec une inquiétude frémissante le livre de Martine Gozlan, Tunisie-Algérie-Maroc, La colère des peuples. Édition L'Archipel.