Marc Bernard (1900-1983), prix Goncourt en 1942, la plus haute consécration littéraire française
Une histoire d'amour racontée par Bernard Émond dans le livre Ferme ton poste camarade
Elle s'appelait Else Reichmann, lui, Marc Bernard
Il l'avait rencontrée au Louvre, devant La Vénus de Milo. Elle était autrichienne, juive, réfugiée; lui, français, écrivain. Ils auront cette chance inespérée d'un grand amour qui ne finit qu'avec la mort d'un des deux amants. C'est Else qui partira la première, fauchée par un cancer en 1968. La vie de Marc Bernard bascule. Il voudrait mourir, mais une promesse faite à sa femme l'en empêche. Il écrira donc. Et presque toute son oeuvre, pendant les quatorze dernières années de sa vie, tournera autour de cette femme aimée et de sa disparition.
Il y aura d'abord La mort de la bien-aimée, Au delà de l'absence, puis, Tout est bien ainsi. Trois livres magnifiques, profonds et simples sur l'amour et la mort. Dans le premier livre, Marc Bernard décline toutes les facettes de leur amour, et d'abord les plus ordinaires qu'il exalte: '' Notre vie fut une longue et brève suite de jours de ce qui aurait pu ressembler à une banalité quotidienne à en juger par la manière dont nous vivions. Ceux qui prétendent que l'amour ne saurait résister à l'habitude en ont une conception basse''.
De cette femme, il a tout aimé: sa beauté, sa grâce, son humour et jusqu'à son accent, dont elle n'a jamais pu se départir. À l'âge de 66 ans, on lui diagnostique un cancer déjà très avancé. Elle a deux mois à vivre. Le récit qu'il fait de l'agonie de sa femme qu'il a accompagnée jusqu'au dernier instant est bouleversant. La mort d'Else le laissera désorienté, brisé. Il cherchera sa femme partout, dans les objets qu'elle a laissés derrière elle, dans des photographies et films. L'absence est insupportable. Pourtant peu à peu, Marc Bernard retrouvera le chemin du monde.
Else Reichmann
Marc Bernard ne connaîtra pas d'autre amour, mais en fouillant l'absence, devant le mystère du monde, il débouchera sur une sorte d'espoir. ''Je me perds dans l'immensité de l'espace et du temps, comme si c'était là seulement que j'aie quelque chance de la retrouver. Plus cet univers est étrange plus mon espoir s'affermit car il me semble que c'est ce qu'il y a de plus improbable qui a le plus de chance de se réaliser. En un mot toutes les portes me paraissent ouvertes et il n'est au pouvoir de personne de les murer''.
Marc Bernard ne devient pas croyant, mais il lui arrive de rêver à Dieu, qu'il ''croit parfois possible'', et son deuil le mène à une attention renouvelée au monde, par laquelle il croit sentir la présence de sa femme. À Majorque, où il se réfugie dans une maisonnette où il a vécu avec elle, et où son souvenir ''est mêlé aux fleurs que j'embrasse, aux nuages, à la lumière''. Il écrira des pages magnifiques sur la nature. ''Je me réconcilie avec la vie et c'est toi qui m'y aide'', écrit-il. Puis enfin, ''C'est un chant de grâce qui retentit parfois en moi, quels qu'aient été la fin et les maux qui l'ont précédée. Ce qui importe c'est que j'ai eu l'honneur, le bonheur de te connaître, que je n'en aie pas été indigne''.
Je ne connais rien de plus beau sur le deuil que ces trois livres, où la douleur de la perte et la gratitude d'avoir vécu et aimé sont intimement mêlées.
C'est bon de reconnaître ma douleur et de la sentir qui se cherche un chemin vers la gratitude. Merci Bernard Émond de me dire que je peux aussi y arriver et de me montrer la voie par ce texte si beau.
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