C'était en 2003
C’est grâce à mon amie Lou, à sa prémonition, du lien intemporel entre nous, si je suis encore là, saine et sauve. Elle m’a téléphoné, et je lui ai dit d'une voix étrange: « Lou, je suis en train d’entrer dans un monde parallèle… ». « J’arrive, Gi! » Je ne me souvenais plus qu’elle s’était brisé un genou, ni de l’année en cours, ni qu’Anne-Emmanuelle était enceinte, ni…ni…ni…. Les paroles que j’entendais ne s’imprimaient plus dans ma mémoire, non plus celles que je prononçais moi-même. Lou, puis Nancy, puis Mimi, puis Madeleine répondaient inlassablement à cette question que je croyais poser pour la première fois : " Donnez-moi une bonne raison pour que j’aille avec vous, à l’hôpital" et "Où sont mes enfants ?" Je les ai mises complètement à "boutte".
Je refusais d’aller à l’urgence dans l’auto de Louise. Elle a appelé les ambulanciers, j'ai refusé obstinément d’embarquer dans l’ambulance. Les ambulanciers ont appelé les policiers, je leur tenais tête… « Donnez-moi une bonne raison…. » C’est Yann qui m’a fait bouger. Il a tendu ses bras vers moi : « As-tu confiance en moi ? » J’ai mis mes mains dans les siennes et il m’a levé doucement de mon fauteuil. Il m’a pris dans ses bras, ma tête était blottie contre son épaule et il m'a parlé avec le langage du cœur. Et je l’ai suivi jusque dans l’ambulance. J’ai refusé de m’allonger sur la civière. Yann s’est assis près de moi. Puis, j’ai refusé d’entrer dans le tunnel du scanner. Céline, qui venait d'arriver à l'hôpital, m'ordonna de manière impérative " d'entrer dans le scanner" et... j'ai obéi.
Ils sont tous venus, même Frédérique-Anne du New-Hamshires. Je me rappelle encore l’anxiété vive et pointue du regard bleu de Marie-Héllène, la tristesse de Dominicke, la colère de Frédérique-Anne, j’aurais dû selon elle, avoir pris depuis longtemps des médicaments pour stabiliser une pression trop élevée. L’infirmière prenait le dessus sur la fille aimante pour cacher l'inquiétude de son coeur apeuré. Je me souviens aussi du soulagement de Manou et de l’offrande d’un beau cadeau : David et Stéphanie. Je me rappelle la douce tendresse de David quand il m’a fait deux longs câlins émus. Stéphanie, grimpée dans mon lit, me souriait bien lovée dans mes bras. Quand Alice et Rosalie ont su, elles se sont mises à pleurer à chaudes larmes à l'endroit où elles magasinaient. Chers petits coeurs!
Des cellules de mon cerveau logées au niveau de la mémoire, pendant un moment, n’ont plus été alimentées en oxygène et ont été détruites. Mais jamais ma mémoire affective n’a fait défaut, je reconnaissais tous ceux que j'aimais et je me souvenais de leurs noms. Mais je n'ai pas reconnu le médecin venu une troisième fois à mon chevet. Les quelques mémoires oubliées de mon passé ne m’ont jamais irritées, je ne sais pas ce que j'ai oublié!!! Je sais tout de même que je reste avec une vague confusion au niveau des chiffres et une propension accrue pour oublier toutes sortes de choses, mes clés en particulier. Heureusement que je n’enseigne plus les mathématiques!
Mes mémoires restantes se sont réorganisées tranquillement pendant les 48 heures qui ont suivi. Et ma vie à repris son cours, avec une sensibilité et une fragilité à normaliser.
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