Yannick Haenel est écrivain et co-créateur de la revue Ligne de risque. Par ses travaux, il appelle à l'insurrection personnelle.
Je lis Le sens du calme de Yannick Haenel
Lire, c'est rallumer à chaque instant l'étincelle sensuelle des phrases, et d'en jouir. Cette jouissance est illimitée. C'est l'élément même de la littérature. J'aime particulièrement cette étincelle dans le Saint Julien de Flaubert: c'est un matin d'hiver, Julien est parti avant le jour, seul, avec une arbalète et un trousseau de flèches; il s'approche d'un bois, accompagné de ses trois chiens de chasse. Et Flaubert note ceci: "Des gouttes de verglas se collaient à son manteau". Ces gouttes n'ont aucune utilité dans la narration: elles s'offrent en plus, comme un bijou. À travers elles, c'est la jouissance du texte qui vous salue, sa richesse qui crépite. Les gouttes de verglas sur le manteau de Julien participent de cette orgie de détails qu'est la littérature.
Il n'y a qu'un seul pays, celui qui déjoue les appartenances: ce territoire enchanté, noble et terrible, qui prend la forme d'un éclair, d'un vertige, d'un paragraphe, et vous ouvre à la dimension intérieure du langage. C'est l'autre pays. Son existence ne dépend pas du hasard.
Il n'y a plus d'obstacle: rien que les phrases qui luttent pour exister. Je cherche en tous lieux, l'occasion pour le poétique de s'éveiller. Pour l'écrivain, c'est se rendre disponible à chaque instant pour l'arrivée du langage. L'événement le plus décisif aujourd'hui, c'est la possibilité, dans une vie, de faire l'expérience poétique. J'étais si concentré sur ce qui allait venir - sur cette venue étrange dont je voyais partout le signe - qu'il m'était impossible de faire le moindre effort pour autre chose. J'ai sorti le livre, et au hasard j'ai lu: "Éprouver le bonheur jusqu'à la terreur de l'esprit." Tout de suite, une chaleur a serpenté dans mes veines, et ma tête souriait comme sous l'effet d'une bonne grappa.
La pensée chemine entre les corps. Je me dispose chaque jour à recevoir cette chose dont j'ignore le nom. Quelque chose s'écrivait à travers moi, un souffle d'arabesques étranges, dont le filigrane se dessinait dans les veines de mon poignet, et ma joie s'élargissait.
Ce livre m'émeut. Nous l'avons offert à Maude, parce que sa dynamique personnelle d'écriture fera corps avec les mots de Heanel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire