mercredi 20 janvier 2010

L'univers intérieur de Etty Hillesum


- je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh! une broutille. Je vais t'aider à ne pas t'éteindre en moi.

- j'ai eu une bonne conversation avec moi-même, profondément recueillie, je marchais et je me suis sentie comme une vieille divinité enveloppée dans un nuage. C'était le nuage de mes propres pensées qui m'enveloppait et m'accompagnait.

- si je parviens à me comprendre complètement, je comprendrai l'humanité entière.

- ce soir, nouvelle disposition concernant les Juifs, je me suis octroyée une demi heure de dépression et d'angoisse pour cela.

- la jeune fille qui ne pouvait pas s'agenouiller et qui a appris à le faire sur le rugueux tapis de sisal dans une salle de bain en désordre. J'éprouve beaucoup de gêne pour cet acte qui me semble tout aussi intime que les actes d'amour dont on ne peut pas parler, à moins d'être poète....

- je crois que je connais et que j'expérimente toutes les tristesses et les circonstances malheureuses qu'un être humain puisse expérimenter mais je ne m'y attarde pas, je n'éternise pas ces moments d'agonie. Ils me traversent comme la vie elle-même, comme un vaste et éternel courant. Je garde toutes mes forces, je ne les immobilise pas par une tristesse stérile. Pas une seule parcelle de ma force ne doit être retranchée par la haine, une haine inutile envers les soldats.

- je dois répartir ma grande tendresse en mille petites tendresses: pour un chien dans la rue, pour un fleuriste âgé... Dans cette nuit printanière, alors que je rentrais de chez-lui en vélo, j'ai répandu dans la nuit ce grand amour. J'en ai lancé aux étoiles, j'en ai jeté dans les buissons au bord de l'eau...

- je suis étendue sur mon lit et je contemple la nuit par la fenêtre ouverte, une nuit renouvelée. Et je sais que je n'aurai jamais besoin de voyager puisque tous les paysages de la terre me rendent visitent la nuit par le paysage toujours changeant à ma fenêtre. On a les ailes dont on a besoin pour voler au travers de tous les murs vers le ciel.

- on ne doit jamais faire d'une personne, peu importe à quel point on l'aime, le but de sa vie. La vie elle-même sous toutes ses formes est l'objectif.

- ce sont des temps d'effroi, mon Dieu. Cette nuit, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrances humaines défilant devant moi. Une chose m'apparaît toujours plus évidente: Dieu, tu ne peux pas nous aider! C'est nous qui devons t'aider et ainsi, nous aider nous-mêmes. La seule chose qui compte c'est la parcelle de toi en nous, en te déterrant dans le coeur martyrisé des autres.

- j'ai assez de force pour la grande, l'héroïque souffrance mais pour le moment, ce sont plutôt les milliers de petits soucis quotidiens comme la vermine qui nous assaillent et nous mordent soudainement. Et je me gratte.

- quelque part en moi, je suis si légère, si magnifiquement exempte de rancoeur. Il y a de ces grandes certitudes en moi, la vie est belle et je me sens heureuse...

- dans les êtres humains, je trouvais parfois un geste ou un regard dont ils avaient vraisemblablement à peine conscience et qui les élevaient au-dessus de leur propre niveau. Et je me sentais ainsi le gardien de ce geste ou de ce regard...

- avoir assez d'amour en soi pour être en mesure de pardonner à Dieu!

- j'irai chercher et déterrer Dieu dans le coeur des êtres humains que je rencontrerai partout sur cette terre.

Etty Hillesun

Paroles tirées du livre "J'avais mille choses à te demander", cahiers recueillies par Alexandra Pleshoyano.

Le jour de sa déportation vers Auschewitz, le 7 septembre 1943, Etty choisit d'embarquer dans un autre wagon que celui où se trouvaient ses parents et son frère. On ne l'a plus jamais revue.


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