jeudi 25 octobre 2012

La légende du Paradis terrestre vue autrement



Adam et Ève, Le Titien (1490-15760

"Les femmes connaissaient la magnifique histoire des débuts. La première d'entre elles avait retiré l'espèce humaine du jardin enchanté de l'enfance. Ève fait le bon geste, du bas vers le haut, en cueillant le droit à la connaissance. Une loi opposée à celle de la gravité soulevait son bras vers le haut.

Ève n'attend pas que le fruit lui tombe dans les mains. De toute façon, le fruit serait tombé de l'arbre y compris, celui de la connaissance. Elle va même le cueillir sur une branche haute. L'effet de cette première connaissance est une expansion des perceptions : "Et ils s'écarquillèrent les yeux". Adam et Ève découvrent qu'ils sont nus. Aucun animal ne sait qu'il l'est. D'une heure à l'autre, tous deux savent qu'ils n'appartiennent plus au reste des espèces vivantes. Ils sont devenus une variante, la nouveauté qui ajoute.

La divinité leur fait part des conséquences de cette transformation. Elle ne prononce pas de condamnation, mais elle cite les effets. Adam ne se contentera plus du produit spontané du sol sur lequel il devra s'acharner pour en retirer plus de profit et de bénéfice. Il trimera en suant sang et eau pour exploiter la terre. Ève concevra et accouchera avec effort, elle n'aura pas l'agilité, la facilité naturelle des autres créatures féminines. Elle deviendra mère avec plus d'effort. Il ne s'agit pas de mesures disciplinaires, mais une annonce de conséquences physiques à la suite de l'irruption de la connaissance, qui n'est jamais un tort. L'ignorance est un tort. Pour que les paroles ne soient pas punitives, "Yod Elohim fit pour Adam et pour sa femme des tuniques de peau et il les couvrit". Geste prévenant et affectueux...

Il eut été incompréhensible aux femmes de Sinaï de savoir que mille ans après, les traducteurs de leur histoire dans d'autres langues, inventeraient une condamnation de la femme par la divinité."

Texte tiré du livre: Et Il dit de Erri De Luca