jeudi 7 août 2014

Rimbaud après sa courte vie de poète...



Rimbaud par Fernand Léger


Henry Miller raconte:

Les difficultés réelles de Rimbaud apparurent à partir du moment où il commença à gagner sa vie. Tous ses talents, combien nombreux, paraissaient inutiles. Il rejoint l'armée hollandaise à Java et déserte aussitôt. Sur un navire anglais qui refuse de faire escale il saute par-dessus bord mais on le repêche. De Vienne, il est reconduit à la frontière bavaroise par la police, pour cause de vagabondage. Il se retrouve toujours sans argent, sans cesse à pied, l'estomac vide. À Civita Vechia, on le débarque alors qu'il souffre d'une inflammation gastrique due au frottement des côtes sur l'abdomen: il a trop marché. En Abyssinie, ce sera pour  avoir trop fait de cheval. Tout à l'excès! Inhumain envers lui-même! Moi aussi j'ai marché du fin fond de Brooklyn au coeur de Manhattan, par tous les temps, tombant plus ou moins d'inanition. Je n'avais pas comme Rimbaud, une ceinture pleine d'or cachée sous mon lit. "Je n'ai pas d'amis la-bas, écrira souvent Rimbaud. "Je mourrai là où me jettera le destin". Pendant ce temps, la gloire littéraire de Rimbaud battait son plein à Paris. Il l'ignorait. Quelle malédiction! Le poète s'appliquait à enseigner le Coran aux enfants du Harrar, dans leur propre langue. Les gouvernements les vendaient comme esclaves. "Il est des destructions qui sont nécessaires..." dira-t-il.

Il commença par vouloir tout voir, tout sentir, tout épuiser, tout explorer, tout dire". Il n'eut pas à attendre longtemps pour sentir le mors dans sa bouche, les éperons à son flanc, le fouet sur son dos. Petit garçon, il en vient "à considérer comme sacré le désordre de son esprit". À ce moment-même, il était devenu un voyant. 

Comme poète, il avait dit  tout ce qu'il lui était possible de dire. Il en était conscient et c'est pour cette raison qu'il tourna délibérément le dos à l'art. Il était né pour être le poète qui allait électriser notre époque. C'était son destin. Le noyau même de son être était attaqué et le mal progressait comme le cancer de son genou. Il avait échappé de très peu à la folie lorsqu'il était jeune; et il l'évita de  nouveau à sa mort. La seule solution possible pour lui, s'il avait voulu vivre, eut été la contemplation, la voie mystique. Il a peut-être passé ses trente-sept années à s'y préparer. "Rien de rien ne m'illusionne!" s'écriait Rimbaud. Pourtant toute sa vie ne fut qu'une sublime illusion. On peut être reconnu comme un grand rebelle, mais ne jamais être aimé. Une petite lueur vacillait encore lorsqu'il s'éteignit. Il avait abandonné la poésie depuis si longtemps. Cette lueur reprit de la force et de l'intensité à mesure que se propageait la nouvelle de sa mort. (à suivre)




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