Marcel Barbeau
Je lis Marcel Barbeau, le regard en fugue, de Carolle Gagnon et Ninon Gauthier
"Son doux regard d'oiseau blessé s'était animé et pétillait derrière sa barricade de verre. Emporté par sa parole, ses longues mains effilées s'échappaient légères, palpitantes, épousant du geste le rythme et les modulations de la phrase, puis se posant un instant, elles reprenaient aussitôt son envol. Avec sa blanche chevelure balayée du vent du large, son fin costume gris perle, Barbeau le flamboyant, était revenu à Montréal". (Ninon Gauthier)
Le jeune Barbeau allait trouver en Borduas, le modèle, le père exemplaire et bienveillant. Borduas lui révélait l'univers merveilleux de la création artistique. L'avenir s'ouvrait lumineux. Tout était permis, le rire, le cri, la passion et l'amour. Chaque visite à l'atelier de Borduas renforçait les liens avec son maître.
Barbeau avait conscience d'avoir découvert dans ses toutes dernières oeuvres, quelque chose de neuf, une façon de peindre qui n'était redevable ni aux Surréalistes, ni à Borduas, ni à ses confrères. Émerveillé de sa découverte, croyant contribuer ainsi au devenir de l'art, il invita Borduas et ses amis à son atelier. Soigneusement étalées, ses dernières oeuvres semblaient offertes comme des cadeaux précieux: cinquante peintures, le travail d'un an d'acharnement et de passion. Mais Borduas les avait toutes rejetées en bloc. "Ces tableaux manquaient de perspectives et d'équilibre! Ils n'étaient que des terres sauvagement labourées, un amalgames de signes et de traces malhabiles, etc..." On s'est moqué de lui, lui suggérant d'abandonner la peinture. Seul Gauvreau le défendit ardemment. Barbeau n'avait aucune formation académique, n'était jamais allé en Europe, il ne pouvait leur tenir tête pour défendre sa découverte. La joie intense qu'il avait ressenti fit place au désespoir le plus profond. Il détruisit ses toiles, les recouvrit d'une épaisse couche de peinture noire. Sombrant dans une profonde tristesse, le jeune homme mit la clé sur la porte de l'atelier pour plusieurs mois. Jamais il ne blâmera Borduas pour ce triste épisode.
Un jour, Jacques de Roussan m'a montré un petit "nu" dessiné par Borduas. J'étais médusée. C'était dessiné d'une façon tellement malhabile, le corps de la femme était déjanté et déséquilibré. On aurait dit un dessin d'enfant bâclé. J'en ai conclu que Borduas était un grand peintre abstrait mais qu'il était un piètre dessinateur.
Jacques me l'avait dit, je ne le croyais guère. Après quelque temps, je lui ai remis l'oeuvre, je ne pouvais vivre avec ce dessin laid sur mes murs. Il avait raison.
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