vendredi 23 mai 2014

Cendrars parle de Modigliani



Amedeo  Modigliani

Cendrars raconte:

Modigliani était pauvre. Il venait m'emprunter trois sous pour prendre le métro qui le menait à Montparnasse. Comme je ne les avais pas, je les empruntais à madame Lafleur, la concierge. Picasso, notre voisin disait que seul Modigliani savait s'habiller. Je crois qu'il a été la première personne à porter des chemises de toile quadrillée bleu et blanc. Il disait que c'était la mode en Italie. Son exemplaire de Dante ne le quittait jamais. Il faisait valoir les vers de Dante et leur harmonie, au point qu'il semblait que c'était lui qui les avait faits.

Modigliani était un assez petit homme, aux cheveux bouclés. Il était beau. Son rire était bref, amer, éclatant et pourtant enfantin. Il était raide, tout d'une pièce, violent d'une manière inattendue à cause de son apparente douceur, sentimental malgré sa raideur et ses indignations. Galant avec les femmes il était quand même capable d'une cruauté soudaine. Très gentilhomme, il aimait la politesse. Il était très don Juan. Je l'ai toujours connu avec des femmes de tous genres, très, très belles. Son ivrognerie était célèbre. J'ai beaucoup bu avec Modigliani. On faisait des partouzes d'ivrognes vertigineuses. Comment n'y ai-je pas laissé ma santé et la raison?

J'ai connu Modi après la guerre de 14, et nous étions bien misérables l'un et l'autre. À son arrivée, il était riche. Il avait touché la succession de son père. C'était un jeune Italien, très élégant avec un veston cousu main. Je l'ai connu riche Modigliani. Je l'ai connu pauvre Modigliani. C'était uniquement un artiste et un poète, il ne pensait qu'à l'art.

J'aimerais bien raconter sa mort et ses funérailles, c'est une histoire atroce mais typique de la bohème de Montparnasse. Sa mort, c'est même l'enterrement des Montparnos, la fin.

Je lis Les Grandes Heures, entretiens  avec Cendrars dirigés par Michel Manoll



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