Extrait du livre L'Histoire de la lecture de Alberto Manguel
"L'image d'un individu pelotonné dans un coin, oublieux en apparence des grondements du monde, suggère d'une intimité impénétrable, un oeil égoïste et une occupation singulière et cachottière. "Sors, va vivre!" me disait ma mère quand elle me voyait en train de lire, comme si mon activité silencieuse contredisait sa conception de l'existence.
La commune inquiétude de ce que pourrait accomplir un lecteur entre les pages d'un livre ressemble à la crainte éternelle qu'éprouvent les hommes à l'idée de ce que pourraient accomplir les femmes aux lieux secrets de leur corps, de ce que pourraient accomplir dans l'obscurité, sorcières et alchimistes derrière leur porte verrouillée.
Les régimes populaires exigent de nous l'oubli, et par conséquent ils traitent les livres de luxe superflu; les régimes totalitaires exigent que nous ne pensions pas, et par conséquent ils bannissent et censurent. Ils ont besoin que nous devenions stupides et que nous acceptions avec docilité notre dégradation et par conséquent ils encouragent la consommation de bouillie. Dans de telles circonstances, les lecteurs ne peuvent être que subversifs".
Enfant et adolescente, je lisais tout le temps. J'avais toujours un livre à la main. Un jour, j'ai gagné un deuxième prix en français et toutes mes prières se sont avérées inutiles car la gagnante du premier prix choisit le livre, le beau livre!!! La religieuse, après la réception est venue me demander pourquoi j'avais choisi un petit feuillet donné gratuitement sur l'épopée fantastique des saumons des rivières. JE VOULAIS LIRE! Les petites choses intéressantes que j'aurais pu choisir ne m'intéressaient pas. Plus tard, je suis allée au presbytère pour dire au curé que je voulais travailler à la bibliothèque paroissiale - les bibliothèques municipales n'existaient pas - il n'y avaient de livres à la maison, que la sélection des Reader Digests, lus mille fois. J'ai donc travaillé à la bibliothèque tous les jeudis soirs et je recevais chaque fois un beau vingt cinq cents. Et là, j'ai lu tout mon soûl.
Le chemin de la bibliothèque du film Le nom de la rose
Les cathédrales, les belles bibliothèques et même mes propres bibliothèques qui ploient sous le poids des livres ont le don de m'émouvoir. J'aime vraiment ces hauts lieux. Une bibliothèque n'est pas uniquement un ensemble de livres. Celle du film Le Nom de la Rose n'est accessible que par un labyrinthe mystérieux nimbé d'une lumière tamisée où l'étrangeté mystérieuse de la vie, de la connaissance et de la spiritualité s'entrecroisent. Quand un incendie détruisit cette bibliothèque aussi vibrante que fantastique, j'avais les larmes aux yeux et le coeur en larmes. À croire que j'ai déjà été scribe....
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